La spirale de l’Avent

Eclairer son chemin

Début décembre, le froid s’est bien installé, l’obscurité et la nuit continuent à gagner du terrain sur la lumière du jour. Dans le même esprit que pour les fêtes de la St Michel et de la St Martin qui ont accompagné les enfants à la fin de l’été et à l’arrivée de l’automne, de nombreuses écoles Waldorf organisent un joli rituel qui leur est propre, afin d’inscrire le vécu des enfants dans le rythme des saisons : il s’agit de « la spirale de l’Avent ». L’image de la spirale évoque le parcours que l’on fait pour aller chercher en soi la lumière dont on a besoin quand le monde autour de nous continue de s’obscurcir. Le terme d’Avent renvoie quant à lui aux préparatifs de la fête de Noël. Quel est le sens de cette fête propre aux écoles Waldorf, et quelle place a-t-elle au sein de la pédagogie ?


Le déroulé de la spirale de l’Avent

Au son discret d’un instrument, les enfants entrent dans une pièce spacieuse, dont la lumière a été tamisée, et au centre de laquelle des éléments végétaux – en général des branches de sapin, sont disposés en forme de spirale. Chaque enfant, à tour de rôle, reçoit une pomme sur laquelle est plantée une bougie de cire. Il est encouragé à s’aventurer jusqu’au centre de la spirale où brûle une bougie à la flamme de laquelle il va allumer la sienne. Il ressort de ce petit parcours en faisant le chemin en sens inverse et pose sa pomme au cours de ce trajet à un endroit qu’il choisit. Peu à peu, la spirale s’éclaire et ainsi, pour les plus timides, le chemin devient progressivement plus lumineux. La plupart décideront de cheminer seuls, mais ceux qui le souhaitent peuvent être accompagnés – ou se contenter de regarder.

Les enfants aiment voir la pièce s’illuminer progressivement dans cette ambiance empreinte de sérénité et de douceur, ils sont heureux d’avoir apporté leur contribution à cette jolie création lumineuse et d’avoir partagé ce moment avec leurs amis.

Quel sens se dégage de ce moment?

Il s’agit, à l’instar de la St Martin, d’apprivoiser et d’éclairer l’obscurité, mais alors que dans la fête précédente les enfants promenaient leur lanterne en cortège, dans la spirale, l’enfant parcourt le chemin seul, s’il le souhaite. La dimension sociale de ce moment n’est pas à rechercher dans le groupe mais dans la construction d’une œuvre commune qui éclaire le chemin les uns pour les autres.

De manière imagée, on peut relier ce vécu à plusieurs expériences de vie fondamentales.

Tout d’abord celle de l’aspiration à des journées plus longues et plus lumineuses, surtout sous nos latitudes.

On peut aussi le mettre en lien avec la recherche d’une sérénité que l’expérience d’être centré en nous-même nous procure, ce que traduit l’image du parcours vers la flamme.

Enfin, on peut le rapprocher, dans le cadre des apprentissages, à l’impression qui accompagne le cheminement vers la compréhension : progressivement les choses s’éclairent, le sens naît.

Une préparation à la fête de Noël

Cette “spirale de l’Avent” trouve sa place dans une série d’activités qui sont proposées aux enfants pour préparer Noël, une fête importante au sein de la culture occidentale. Il n’est pas question uniquement de recevoir des cadeaux, comme la consultation fébrile de catalogues de jouets à laquelle s’adonnent parfois les enfants pourrait le laisser penser. Les activités qui sont proposées aux enfants pendant cette période de l’Avent permettent de les recentrer sur les aspects qui donnent son sens à cette fête : partage, générosité et solidarité au coeur de l’hiver.

Ils chantent des chants traditionnels, écoutent des légendes associées à cette période de l’année, préparent des cartes de voeux, et ils allument une à une les bougies de la couronne de l’Avent, dans un geste qui rappelle celui de la spirale, et qui nous ramène à la symbolique de la lumière victorieuse de l’obscurité. C’est cette symbolique que l’empereur romain chrétien Constantin avait à l’esprit quand il lui fallut trouver une date pour célébrer la naissance du fils de son Dieu : il la plaça au moment où était célébré à Rome le culte de Mithra, divinité perse de la lumière importée par des légionnaires romains, et que l’on célébrait lors du solstice d’hiver pour fêter le rallongement des jours (Dies natalis solis invicti : le jour de la naissance du soleil victorieux).

La spirale de l’Avent fait donc partie des fêtes qui, dans les écoles Steiner-Waldorf, ponctuent l’année et inscrivent le vécu de l’enfant dans le rythme des saisons. Ces célébrations l’aident à se lier plus concrètement à la nature en attirant son attention sur la qualité de la lumière, de la végétation, de la météorologie. C’est à cet effort que participent aussi les tables de saisons qui ornent les classes.

Le besoin de dépasser le quotidien

Ces moments éphémères satisfont également un autre besoin fondamental. Certains psychologues l’ont bien identifié dans leur pratique thérapeutique. Ils observent la nécessité pour l’enfant d’un vécu qui dépasse le quotidien. Sevim Riedinger, psychologue clinicienne, insiste ainsi sur l’importance du recours chez les enfants à une dimension poétique et mystérieuse, qui leur permet d’affronter la réalité. Cette dimension qu’elle qualifie de « sacrée »[1] est non confessionnelle dans son essence, même si elle peut en revêtir les habits.

Ces fêtes pourraient en effet très bien être organisées sans connotation religieuse. Cependant, en Europe ou ailleurs, les fêtes religieuses, de par l’universalité des valeurs qu’elles véhiculent au-delà de leurs dimensions cultuelles, offrent un cadre propice à l’expérience recherchée sans pour autant être contraires à un projet laïc dans le sens où la laïcité, bien comprise, permet de laisser ouvert un espace pour accueillir l’autre quelles que soient ses croyances.[2] En outre, elles font partie du patrimoine culturel local dans lequel il est important d’ancrer les enfants avant de les ouvrir à d’autres interprétations du monde, ce qui est accompli également grâce à l’étude des mythologies et civilisations, un autre élément important du plan scolaire Steiner-Waldorf.

Mais ce sont là des explications théoriques que les enfants ne font que percevoir de manière confuse. Le temps des interprétations viendra, en attendant, ils sont tout à la joie et à l’émerveillement de ce moment paisible et lumineux qu’ils vivent lors de la spirale de l’Avent …

[1]Sevim Riedinger, ‘Le Sacré et l’Enfant’, Pocket, 2019, pp 20.

[2]Delphine Horvilleur, ‘Vivre avec nos morts’, Le Livre de poche, Grasset, 2021, pp 27-28.