Un voyage de classe
à la conquête du grand Nord
Deux enseignants de l’école Steiner Waldorf de la Mhotte, dans l’Allier, on fait le pari d’emmener une classe d’adolescents de 15-16 ans aux confins du monde dans les espaces glacials de l’Arctique suédois. Malgré de nombreuses difficultés liées aux restrictions sanitaires, ils n’ont jamais abandonné le projet de faire vivre à des adolescents des conditions intenses. Cette expérience exceptionnelle leur a permis de rencontrer la puissance des éléments pour pouvoir se mesurer à eux-mêmes et grandir intérieurement. Récit de Léo Strac, professeur d’histoire et accompagnateur de l’aventure.
En quête du Nord
Depuis 2018, avec Adélaïde Désilles, co-tutrice de la grande classe à double niveau ( 14-15 ans puis 15-16 ans) à l’école Steiner Waldorf de la Mhotte, nous avons mis en place un programme d’école itinérante. À 14-15 ans, les élèves partent ainsi généralement à pied de l’école pour rejoindre la chaîne des Puys à 170 km de là et étudier la géologie. L’aventure et les expériences d’apprentissage divers « en chemin » sont au coeur de nos programmes des grandes classes, de la rencontre avec la nature aux ateliers d’écritures.
Malgré le contexte sanitaire actuel compliqué, il nous a paru fondamental de tout mettre en oeuvre pour mener à bien le projet de cette année : une expédition en Laponie, dans l’Arctique européen, en hiver avec les élèves de 15-16 ans. L’objectif était de faire l’expérience des grands espaces enneigés du Nord, en autonomie, dans un habitat nomade : le tipi lapon.
Ne jamais abandonner
Ce projet était censé être mort-né. Mais qui peut dire définitivement qu’une chose est impossible ? Est-on sûr que tout a été tenté avant d’abandonner ? D’un point de vue extérieur, chaque obstacle se présentant pouvait arrêter le projet. Un mot d’ordre nous a permis de tenir le cap : rester pragmatique, tout tenter, jusqu’au bout pour faire aboutir ce projet, pour ne rien avoir à regretter. C’était un engagement que nous avions envers les élèves, car pour eux, nous le sentions à chaque fois que le projet était en danger, aucune raison n’aurait été valable d’annuler ce voyage mûri depuis deux ans. En effet, le voyage avait été décidé dès l’année précédente et constituait le point de mire de leur scolarité en grandes classes.
Ainsi, depuis leur entrée en grandes classes, les élèves avaient commencé à collecter de l’argent pour leur cagnotte individuelle de voyage, qui devait s’élever à 600€. De notre côté, nous avons profité de ce nouveau défi logistique pour monter le « Fonds Aventure », qui nous permettrait de réunir l’équipement nécessaire. En effet, vivre plusieurs semaines dans des températures entre -25 et 0°, nuit et jour, implique d’avoir à sa disposition un matériel complet et adapté. L’effort des élèves, les dons de particuliers et l’aide décisive d’une fondation nous ont permis de constituer ce fonds. Une fierté pour l’école : outre la construction de son identité, ce matériel va permettre à toutes les classes de pouvoir se déplacer, partout et en toutes saisons.
Péripéties
Toute l’organisation faite en Finlande avec l’aide d’une collègue de l’école Steiner Waldorf d’Helsinki et dans une ferme tombe à l’eau à l’automne dernier. Les frontières de la Finlande sont fermées aux voyageurs, à cause de la situation sanitaire. Nous choisissons de réorienter notre cap vers l’Ouest, en Suède, toujours vers la Laponie et l’Arctique européen. Par chance, cette région s’étend sur plusieurs Etats. Au vu des conditions sanitaires, le projet est réadapté : abandon du projet d’échange avec une autre école afin de limiter à l’essentiel les contacts avec la population locale, abandon des visites culturelle en ville. Nous allons rester surtout entre nous !
Toutefois les écoles contactées ne souhaitent nous aider que lorsque la crise sanitaire sera passée et ne nous soutiennent pas pour trouver un camp de base pour notre groupe. En décembre, soit deux mois avant le départ prévu, nous sommes au point mort. C’est alors que nous décidons d’envoyer une lettre signée pas les élèves, écrite en anglais et en suédois, une bouteille à la mer.
« To make this possible, we need a vital help from someone in Sweden. We need a room in which our teachers could teach and a place to set our camp. We will use Nordic teepees. We have a wood burner in each teepee so we can cook and be warm. We just need a very simple room and someone to welcome us. »
Je reçois une réponse pendant les vacances de Noël d’un parent d’élève de l’école Steiner Waldorf de Solvik près de Järna, au Sud de la Suède : Johanna. Elle nous dirige vers le lieu idéal, un camp au bord d’un lac dans une réserve naturelle des Alpes scandinaves, dans la province du Jämtland, à mi-chemin entre Stockholm et notre destination finale, la Laponie. Parfait pour s’adapter au froid avant de traverser le cercle polaire! De plus, nous avons la possibilité de faire cours dans le musée de la réserve naturelle. A ce moment de l’organisation, cet élément est une condition non négociable pour la réalisation du voyage, la durée du séjour ayant été fixée à 5 semaines. Tout paraît prêt !
Contre toute attente nous subissons un nouveau revers, exactement la veille de la commande des billets d’avion : le directeur du musée nous informe qu’il est vraiment navré mais qu’il a reçu des instructions de sa hiérarchie et qu’à cause de la situation sanitaire, il ne peut malheureusement plus honorer ses engagements. Résultat, nous ne pouvons plus ni faire les cours dans le musée, ni nous installer sur le camp de Nulltjarn. Il nous conseille tout de même d’écrire une lettre aux autorités régionales. Fidèles à notre mantra, nous continuons de tenter l’impossible, pour ne pas rester paralysés. Nous reprenons contact avec d’autres habitants suédois et nous écrivons une lettre aux autorités.
Nous avons dû reporter le départ de notre voyage mais nous recevons, de manière inespérée, une longue lettre des autorités du Jämtland nous autorisant officiellement à nous installer dans la réserve naturelle. Encore une fierté pour l’école ! Gudmar le beau-fils de Johanna qui habite dans le plus proche village, Välädalen, n’est pas pour rien dans le succès. Il s’est démené pour nous.
Le dernier rebondissement est lorsque nous apprenons que les tests PCR à faire en Suède pour le retour en France ne sont pas remboursés et que leur coût s’élève à environ 300€ par personne. Mais plus rien ne pouvait nous empêcher de partir, notamment grâce au soutien de la fondation qui nous accompagne dans ce projet. La dernière épreuve, la plus angoissante, était bien sûr les résultats des tests faits en France pour le départ, et qui pouvaient ruiner tout le travail effectué depuis un an. La durée du séjour doit tout de même être écourtée à 3 semaines et demi, car nous n’avons plus de salle pour faire cours. Une partie des cours sera donc donnée avant le départ.
Voir loin
Ce voyage s’insère dans un grand geste pédagogique lié à toute l’année scolaire. Le projet d’école itinérante de 9-10e classe est lié à l’étude de la préhistoire et du mode de vie des peuples chasseurs-cueilleurs nomades. L’objectif est de rejoindre les grands espaces de nature vierge aux franges de l’Europe civilisée, pour y vivre une expérience forte, en lien avec ce qui est appris, c’est à dire notamment le lien profond qui unit l’homme à la terre et aux êtres vivants. Ainsi en 2019 nous nous étions rendus, avec la classe précédente, sur l’île protégée de La Palma, dans l’archipel canarien. Cette île compte des forêts primaires, des sites préhistoriques, une chaîne de volcans majestueuse et elle est la dernière terre avant l’Amérique. On dit qu’elle a aussi l’un des ciels les plus purs au monde.
Avec la classe actuelle, nous nous sommes orientés vers les espaces enneigés de l’Arctique. Se diriger vers le Pôle Nord, axe de notre planète, et dépasser le cercle polaire, est pour un voyageur nécessairement lié à quelque chose de hors norme. La nuit polaire qui dure plusieurs mois et les aurores boréales en sont des symboles. Nous avons fait vivre cet aspect d’une quête vers le Nord lors d’une période pluridisciplinaire à propos de l’espace arctique qui a eu lieu en janvier. L’Arctique pourrait être considéré comme un immense pays empruntant ses terres à 3 continents : l’Europe, l’Asie, l’Amérique. Cet espace est depuis la préhistoire peuplé de nombreuses communautés nomades liées aux deux grands écosystèmes de la région : la toundra et la banquise. En classe, nous nous sommes intéressés à la faune, à la flore, au climat et aux peuples autochtones du Grand Nord, aux enjeux géopolitiques et écologiques actuels, dans une vision globale de cette région. Nous avons aussi étudié l’histoire de sa découverte et de la conquête du Pôle nord. La figure de Jean Malaurie, géographe et ethnologue français, grand protecteur des peuples « racines » de l’Arctique, était centrale. A la fois lors de cette période mais aussi par le fait qu’il avait été désigné comme « parrain » de notre projet.
Des expériences pour la vie
Première partie
Huit jours au camps de Nulltjarn dans le parc naturel de Välädalen près d’un beau lac dans les Alpes scandinaves, nous sommes déjà bien au nord mais en dessous du cercle polaire. Température entre -15° et 3°.
Eléments importants : après l’installation des tipis la nuit en pleine tempête de neige, formation d’une « communauté du froid », grâce à une adaptation progressive aux conditions sur place. Mise en place de rythmes à travers les cours et autres activités. Randonnées en raquettes dans le parc national et ascension du mont Ottfjalet. Rencontres avec Gudmar, notre contact sur place. Aide précieuse de sa part notamment avec le prêt d’un « drill » qui nous permet de faire un trou dans la glace pour l’eau potable.
Période de transition
Long voyage pour rejoindre le parc national d’Abisko en Laponie. Une nuit en train durant laquelle nous traversons le cercle polaire, puis une nuit au camping dans la ville de Kiruna, chef-lieu de la région.
Deuxième partie
Camp de 3 jours dans le parc national d’Abisko, 250 km au nord du cercle polaire. Réadaptation, reprise du rythme et des cours. Promenades nocturnes en raquettes. Multiples aurores boréales. Première nuit en dessous de -25°.
Une semaine de trek en raquettes sur la Voie Royale. Transport de tout le matériel et de la nourriture sur des pulkas, traîneaux tirés par une ou plusieurs personnes. Mauvais temps tout le début du trek avec tempêtes occasionnelles. Retour à Kiruna avec deux nuits au camping. Visite de la ville et tests PCR. 17h de train pour rejoindre l’aéroport d’Arlanda (Stockholm).
Un passage
“Dans ma petite vie tranquille, je n’avais jamais su ma réaction par rapport à une situation nécessitant du sang-froid. Et je me demandais, souvent, si j’étais courageuse. On m’avait déjà posé la question mais je ne pouvais pas répondre ne me connaissant pas assez. Mais savoir se connaître est essentiel. Cela me manquait et je l’ai appris. Une petite part de moi s’est révélée, équivalant à un passage. Un passage peut-être pas à l’âge adulte, mais une sorte de cap dépassé.”
Prune, extrait d’un exercice de réflexion sur le passage à l’âge adulte.
De manière collective autant qu’individuelle, ce voyage a été pour les élèves un passage, il a marqué un cap dans leur scolarité et dans leur vie. L’aventure a l’intérêt de révéler des parts de nous-mêmes que nous ne soupçonnons ou ne connaissons pas. C’est particulièrement vrai dans ce monde de plus en plus virtuel dans lequel les jeunes sont rarement mis face aux nécessités qu’impliquent une vie dans la nature.
De manière collective autant qu’individuelle, ce voyage a été pour les élèves un passage, il a marqué un cap dans leur scolarité et dans leur vie. L’aventure a l’intérêt de révéler des parts de nous-mêmes que nous ne soupçonnons ou ne connaissons pas.
Se dépasser
Lors du voyage et en lien avec le cours, nous avons demandé aux élèves de se questionner sur ce qui pouvait les entraver dans leur chemin et les obstacles qu’ils pensaient avoir à dépasser pour devenir adultes. Nous avons aussi demandé aux élèves de se poser la question de quels adultes le monde d’aujourd’hui aurait besoin.
Lors de nos voyages, nous partons du postulat que le fait d’avoir à se dépasser physiquement, psychiquement et mentalement permet à chaque jeune de contacter davantage l’idéal qu’il porte en lui, les impulsions à réaliser dans sa vie. Chaque jour, le simple fait de mettre ses chaussures ou de sortir du tipi pouvait représenter un effort. Chaque jour, il fallait déneiger le tipi, chercher de l’eau, enlever et remettre constamment les couches de vêtements pour réguler sa température, faire la vaisselle dans la neige et tout simplement résister au vent et au froid. Le matin, il fallait sortir de son sac de couchage alors que tout était glacial dans le tipi. Mais curieusement, au lieu d’une ambiance morose, une fois les premières adaptations individuelles passées, c’était la bonne humeur et l’humour qui prévalaient. Se dépasser semble rendre heureux.
“On est toujours immobilisés. Dans le shelter on entend les bruits du vent et de la neige qui frappent contre nous. Sans beaucoup d’espace la vie nomade est plus difficile que d’habitude et si on ajoute le fait que la seule source d’eau qu’on ait soit la neige, la difficulté monte à +49. Même dans ces temps de galère l’ambiance n’est pas si déprimante que cela, joyeuse même.”
Extrait du carnet de bord d’Elea
Se sentir vivant
Les élèves ont pu témoigner au retour que les choses allaient bien trop vite chez eux. Tout ce que nous vivions les aidait à s’enraciner dans chaque instant vécu. Les élèves ont tous dépassé un premier cap après trois ou quatre jours au camp de Nulltjarn. Ils ont compris notamment grâce au cours de survie dans le froid comment l’essentiel de leur confort était entre leurs mains. On peut râler parce qu’il faut fermer sa veste alpine alors qu’un vent piquant nous assaille, mais on peut aussi être très heureux d’ajuster parfaitement cette protection qui fait glisser le vent sur soi. Chaque petit geste peut devenir une satisfaction, une maîtrise face aux éléments qui, sans cela, seraient hostiles. Lorsque l’on doit être actif pour vivre et non se contenter d’appuyer sur des boutons, on se sent vivant, à chaque instant.
À la fin du séjour à Välädalen, certains élèves ont même décidé de dormir à la belle étoile, protégés par un mur de neige, sur le lac. D’autres ont testé un bain de neige pour faire leur toilette, à la suédoise ! Cette victoire sur soi, cette connivence avec les éléments, ont été l’une des grandes joies de notre aventure alors que la météo a été relativement peu favorable puisque nous n’avons eu que trois jours pleinement ensoleillés.
“Sous les étoiles trois petits hommes sont couchés dans la neige. Un mur est la seule protection contre le vent. Les étoiles hautes dans le ciel les regardent. Trois sacs de couchage différents. Trois couleurs entre le noir et blanc. Ils disparaissent de plus en plus, jusqu’à ce qu’on ne les voit plus. La neige tombe et tombe. Le soleil se lève et tout est fini. Comme un rêve. Juste le mur reste. Un reste dur de ce rêve.”
Extrait du carnet de bord de Mo
L’endurance
Toutefois, cette maîtrise devait être reconquise quasiment quotidiennement face aux nombreuses épreuves de notre parcours. On peut penser au transport de nos lourds sacs de voyage contenant poêles, bois et nourriture, lors de certains déplacements. Au moment où nous manquions d’eau, ou lorsque la tempête se levait. Se dépasser n’était pas suffisant, il fallait endurer. Nous avons eu la chance d’être accompagnés dans nos soirées par la lecture d’un magnifique récit sur l’expédition en Antarctique d’un groupe d’explorateurs menée par Shakleton en 1915 : Endurance. Ce récit à propos d’un groupe d’hommes échoués sur la banquise et campant sur la glace, au milieu de la terrible mer de Weddell, résonnait particulièrement bien avec ce que nous vivions et aidait les élèves à relativiser leur situation. L’endurance était avant tout, pour les élèves, une question de mental. Il ne fallait pas réfléchir mais continuer.
“Ne pas penser, ne rien imaginer, râler ne sert à rien, juste avancer.
Nous devons parcourir 8 km sous la tempête pour atteindre Alesjaures. Pas de paysage, juste du blanc. Juste du blanc et des croix.
Pour arriver au but, ne pas penser, ne rien imaginer, râler ne sert rien, juste avancer.”
Extrait du carnet de bord de Paul
Lors du trek, le long de la Voie Royale, un élève portait notre drapeau, « Ecole de la Mhotte en Laponie ». Ce drapeau nous aidait à garder la conscience de notre but et de notre mission. Nous étions en expédition et nous devions être à la hauteur. Lorsque le porte-drapeau passait celui-ci à l’un de ses camarades, il prononçait le mot « endurance ».
“La Laponie nous y voilà, les immenses montagnes blanches et ces lacs à perte de vue. Je n’aurais jamais pensé aller dans le cercle polaire, mais maintenant j’y suis avec ma classe. Il y a tant de choses encore qui nous attendent, j’ai si hâte de toutes les découvrir, même si parfois les épreuves sont dures. On continue encore et encore, tous ensemble.”
Extrait du carnet de bord d’Anissa
Les épreuves
Parfois, des difficultés extérieures pouvaient se révéler de véritables épreuves. La première arriva le soir de l’arrivée au camp de Nulltjarn. Nous sommes arrivés en retard, dans la nuit, à cause d’un bus qui n’est jamais venu, et nous avons dû monter les tipis en pleine tempête de neige. J’ai été extrêmement touché par le sang-froid avec lequel le petit groupe d’élèves qui m’accompagnaient a réagi. Dans ces moments-là, on a l’impression que les adolescents sont faits pour ce genre d’expérience. Leur esprit et leur corps deviennent tellement aiguisés, on peut tellement compter sur eux.
C’est comme si des forces cachées se révélaient, je n’ai pas eu besoin particulièrement de diriger les opérations. Chacun donnait des consignes ou exécutait en fonction des nécessités.
“Je regarde le taxi s’éloigner. Il fait nuit. Ça y’est je ne le vois plus. J’allume ma frontale. De gros flocons tombent sur le sol déjà recouvert d’une épaisse couche de neige. Nous sommes 8 à nous affairer. J’ai oublié de prendre mes raquettes, mes pieds s’enfoncent profondément dans la neige. Malgré ça, je suis les autres en portant les gros sacs. Je pénètre à peine dans la forêt clairsemée que là bas dans la continuité noire du chemin, un vent puissant frappe mon visage. Je fais un pas en arrière et essaie tant bien que mal de regarder. Au fond de cette allée sombre on croirait voir un vide profond d’ou un vent violent parait s’échapper comme pour me faire tomber. J’ai l’image d’une bouche béante affamée qui force ses proies à tomber pour les avaler à tout jamais. Je reste paralysé quelques secondes, puis reprenant mes esprits je continue à avancer. J’ai l’impression d’être perdu dans mes pensées, multiples pensées qui rebondissaient sur ma capuche et qui se mélangent pour me perdre encore plus. Nous avons installé les tipis dans cette tempête de neige, dans cette nature hostile où il m’était impossible de me repérer. Une fois installés, je me suis glissé dans mon sac de couchage et je me suis endormi. Le lendemain, mes yeux ont analysé l’environnement par simple réflexe pour me sentir rassuré. La bouche béante était en fait un lac gelé d’une blancheur absolue. Les paysages qui s’offraient à nous étaient magnifiques.”
Extrait du journal de bord de Paul
Dans ces moments-là, on a l’impression que les adolescents sont faits pour ce genre d’expérience. Leur esprit et leur corps deviennent tellement aiguisés, on peut tellement compter sur eux.
Avec cette épreuve, nous avons été heureux de constater, avec ma collègue, que la maxime que nous avions choisie pour la classe en début d’année, était maintenant vécue pour de vrai : « Dans la tempête et le bruit, la clarté reparaît grandie ». En effet, le grand objectif de la 9-10è classe est pour nous d’aider les jeunes à former une pensée claire, objective, en lien avec le monde. Mais nous avons parfois regretté, sur le ton de l’humour, d’avoir choisi cette maxime, car nous avons, lors des quatre premiers jours du trek, fait face à des vents violents et à plusieurs tempêtes. Le trek a été le sommet d’une seconde grande épreuve. Passer des cols, dans les vents violents, au milieu d’un désert de rocs, de glace et de neige.
“Chers vous,
Cela fait exactement une semaine que je ne vous ai pas écrit, mais beaucoup trop de choses se sont passées pour en avoir eu le temps. Les décrire serait tout aussi long. Le trek a été intensif pour nous. Les trois premiers jours se sont passés dans le vent, la neige et la tempête ; chaque pas était un combat contre le vent qui continuait sans relâche à essayer de nous faire reculer, mais nous, nous étions plus forts que lui. On n’a pas lâché l’affaire, on est allés jusqu’au bout de notre but. Ce trek a été éprouvant pour tout le monde.”
Extrait du journal de bord de Flora
Saisis par la beauté
Tout au long de l’aventure, nous avons été portés par la beauté fascinante des immensités inhabitées de la Suède. Pour avoir une idée de ce qu’est la pureté, il faut se déplacer dans le Grand Nord. Le premier camp était au bord d’un grand lac gelé recouvert de neige, entouré d’immenses forêts et de montagnes. Chaque matin, nous nous rassemblions sur le lac et après un échauffement énergique, nous contemplions en silence ce qui se révélait à nous ce jour-là. Ce lac était comme un immense oeil dans le paysage. Lors de ces cercles, nous invitions les élèves à penser ce qu’ils souhaitaient pour cette journée et ce voyage. De la contemplation à l’intention, de la beauté à l’idée.
La neige blanche et intacte s’enfonçait sous ses pieds. Il avançait, regardant le paysage d’un blanc immaculé défiler. D’une démarche assurée bien que ralentie par la poudreuse fraichement tombée, la silhouette gravissait la pente verglacée. Arrivée en haut, elle s’immobilisa. La beauté, la sérénité et la royauté des lieux l’avaient figée. Blanc sur vert, la neige sur les branches faisait ployer les sapins et le lac recouvert de neige s’étalait devant lui. Un oiseau blanc se posa sur une branche, un autre le rejoint sur la neige. Bientôt, trois oiseaux s’étaient rejoints. Trois oiseaux prirent leur envol.”
Extrait du journal de bord de Joseph
Les élèves étaient en permanence entourés par cette beauté, mais parfois elle les saisissaient, presque physiquement. Nous avons pu ainsi vivre un coucher de soleil sur un mont solitaire ou redescendre dans des vallées à la lumière du crépuscule ou des étoiles. Les paysages voilés par les tourbillons de neige étaient tout aussi saisissants que les grands panoramas éclairés par le soleil.
“Derrière le lac le vent se lève. La neige glisse, survole la surface froide. Comme les esprits des anciens qui frôlent la terre. La neige rentre par tous les trous. Elle pique le visage. Entre les bouleaux et les sapins enneigés, deux tipis marrons sont les seules couleurs dans le paysage noir et blanc.”
Extrait du journal de bord de Mo
Lorsque nous observions un élève se détacher du groupe, nous avions parfois l’impression, ma collègue et moi, qu’il était comme traversé par une immense force. La nature du Grand Nord semble nous inviter à voir notre propre vie d’une autre perspective, plus vaste. Le nom donné au parcours de 400 km entre les montagnes de Laponie, la Voie Royale, illustre bien ce sentiment.
Les aurores boréales que nous avons pu observer sur une hauteur au milieu du parc national d’Abisko ont été aussi liées à une expérience de saisissement. On attend dans le froid intense, mais lorsqu’elles apparaissent, une chaleur s’empare de nous, alors que nous ne bougeons pas. Nous n’avions pas imaginé que les aurores boréales seraient des apparitions à la fois aussi subtiles, grandioses et changeantes. De véritables oeuvres d’art. Les élèves, même s’ils n’ont pas pu exprimer avec des mots leurs ressentis profonds, ont été bouleversés par cette expérience. Voir des aurores boréales après tant d’efforts, ensemble, au milieu du silence, non loin de nos tipis, était comme un signe porte-bonheur pour leurs vies, un don du ciel.
“L’aurore boréale est comme un voile dans le ciel qui disparait aussi vite qu’elle est apparue. Souvent elle bouge comme une ondulation de voile puis disparait. Ensuite une autre arrive complètement différente. Sa forme bouge, son intensité, sa hauteur. C’est comme un spectacle. Quand une aurore s’en va, une autre arrive. Parfois, plusieurs aurores boréales se dessinent en même temps. La joie de toutes les voir est inexplicable, tous les sentiments viennent en même temps, l’excitation, le bonheur, l’extase, l’émerveillement, et je dois surement encore en oublier. L’envie qu’elles restent pour toujours est intense, puis quand le spectacle est terminé nous allons tous nous coucher.”
Extrait du carnet de bord de Lourisse
En quête de sens
“Sans rien dire, Utak sortit du camp. Vers le nord. Il marcha dans la neige sans le sens du temps. L’obscurité s’était lentement installée. Un vent fort commença à souffler et Utak leva les yeux dans l’espoir de voir une lumière éclairer le ciel, rien. Il commença à grimper, ses sens lui servant d’yeux dans l’obscurité. Le vent lui permettait à peine d’avancer. Il ressentit une immense fatigue et rassembla ses forces pour continuer à grimper, il continua à gravir l’ascension sans fin et ne pouvait voir ni le sommet de la montagne en haut ni ses pieds en bas. Mais Utak continua à grimper. Le vent soufflait dans ses oreilles et pénétrait sous ses vêtements… Soudain il y eut un silence et des lumières brillèrent autour de lui… Est-ce la mort qui est venue? il tomba à genoux, ne sentant plus le froid. Le vent s’était arrêté et le ciel était éclairé de lumières vertes et violettes. Au loin, il remarqua quelque chose qui s’avançait vers lui, c’était un renne et il entendit sa voix lui parler doucement.”
Extrait de la fiction de Yul
Dans le silence, les élèves reconstruisent, dans leur intériorité, le sens et la cohérence de ce qu’ils vivent.
Avec ma collègue, nous mettons tout en oeuvre pour que les élèves apprennent à faire sens de ce qu’ils vivent. Au début du voyage, certains pouvaient se dire « Mais que faisons-nous ici, dans ce froid, perdus ? ». Nous donnons un cadre mais nous laissons les élèves faire émerger leur vision des évènements, notamment à travers l’écriture. Dans le silence, les élèves reconstruisent, dans leur intériorité, le sens et la cohérence de ce qu’ils vivent. Les lectures, les discussions, les cours et nos paroles les guident dans ce travail. Ils ont pris l’habitude, à travers des ateliers d’écriture, suivis depuis l’entrée en grandes classes, d’exprimer leur voix propre. Chacun élabore son style. Cet exercice s’apparente au développement d’une voix intérieure, d’une conscience unique, qu’il faut respecter et prendre au sérieux.
Nous avons la conviction que cette démarche donne à chacun les outils pour devenir acteur de sa propre vie. Mais cette recherche est aussi collective.
Le soir, assis en rond prés du poêle dans le tipi, le moment de partage des textes est très recueilli. Qui va dans le silence lancer sa voix? On ressent comment chacun a un point de vue précieux pour l’ensemble du groupe. Certains sont davantage techniciens, d’autres poètes ou encore naturalistes, profondeurs des sentiments et légèreté de l’humour trouvent leur place et s’entremêlent.
Nous avons la conviction que cette démarche donne à chacun les outils pour devenir acteur de sa propre vie. Mais cette recherche est aussi collective. On apprend que l’on peut compter sur les autres, que leurs points de vue nous enrichissent. On apprend à révéler ses faiblesses, plutôt qu’à mettre un masque. Se connaître, c’est bien sûr aussi reconnaître l’autre.
Le fait d’arriver, à travers les épreuves, à donner du sens à notre voyage, et donc à ce que nous entreprenons permet, nous en avons fait l’observation à chaque voyage, d’aider les élèves à cultiver une confiance dans la vie. On apprend, ensemble, pendant un temps, que chaque étape a du sens dans le chemin vers notre objectif final : l’accomplissement de notre aventure. Nous relions cette aventure à un but plus vaste: grandir, comprendre le monde. Nous espérons que cela leur donne des forces pour envisager les étapes de leur vie avec cette même attitude.
La recherche de sens se fait aussi à travers deux écrits thématiques imposés : une fiction et un texte de réflexion. La fiction devait être une histoire illustrant un des thèmes du cours sur la préhistoire et y mêler un élément vécu pendant le voyage. Le texte de réflexion invitait les élèves à se questionner sur le fait de devenir adulte dans le monde d’aujourd’hui. Ces textes permettent aux élèves de déposer leurs expériences, de prendre conscience de la richesse de leur vécu et de former une pensée individuelle.
Transmettre
Nos grands élèves reviennent porteurs d’une histoire unique. Ils l’ont fait ! Ils sont revenus !
Une exposition, intitulée « En quête du Nord », s’est tenue à la médiathèque de Bourbon l’Archambault, commune proche de l’école (du 6 au 26 juillet 2021). Des peintures inspirées du voyage, réalisées par une artiste – peintre intervenante à l’école, y étaient exposées ainsi que les textes et quelques peintures des élèves. La légende continuera ainsi à se transmettre…
We sincerely hope that our situation has appealed to you to reconsider your decision of welcoming our group. If this trip couldn’t happen now then we hope we could postpone to later this year. In this stifling Covid time we think it is still possible to undertake, with a sense of responsibility, what is necessary for the youth to believe in humanity.
Thank your for your attention.
The College of teachers and the Board of administration