Le livre « Grandir en humanité »
Des propositions sur l’école qui résonnent avec la pédagogie Waldorf
Paru aux éditions Autrement, « Grandir en humanité, Libres propos sur l’école et l’éducation » est un dialogue en liberté entre Philippe Meirieu et Abdennour Bidar sur les enjeux de l’école et de l’éducation, sur ses fondements, ses valeurs et une réflexion sur quelques principes forts qui pourraient transformer radicalement l’institution éducative.
Les auteurs notent que les réformes éducatives se succèdent, mais sans que soit véritablement pris le temps d’échanger sur le fond, c’est-à-dire de réfléchir à un projet éducatif fondateur. D’où cette impression d’avoir face à nous une « machine-école » dont nous avons perdu le sens, et qui cherche plus à « fabriquer des masses » qu’à promouvoir des sujets qui cultivent leur singularité tout en apprenant à se relier aux autres et au monde. Ce qui permettrait à chacun de « grandir en humanité ».
Les thèmes développés dans le livre sont très riches et variés, et s’articulent entre des réflexions philosophiques sur le rôle de l’éducation et des idées plus concrètes sur des mises en application possibles.
Voici un tour d’horizon de quelques idées et propositions des auteurs du livre, qui sont parfaitement en écho avec les fondements de la pédagogie Waldorf.
Un projet éducatif basé sur un triple lien
Les auteurs considèrent comme un « défi de civilisation » la « mise en croissance d’individualités de haut rang, d’individualités qui puisent en elles-mêmes dans l’éveil progressif de leur génie singulier, la source de leur inspiration intellectuelle, éthique, spirituelle et sociale ». L’éducation doit mener à l’épanouissement « d’individus vraiment autonomes, c’est-à-dire créateurs de leur vie parce qu’ils auraient construit une authentique singularité d’être et de pensée ».
Grandir en humanité, c’est donc permettre à cette singularité de s’exprimer, tout en favorisant le lien aux autres et au monde. Et cela se ferait au cœur d’une « école tisserande », une école du triple lien où l’on apprendrait à découvrir « les ressources de notre intériorité » (lien à soi), à développer une relation de fraternité avec tous nos frères et sœurs humains, sans frontières de couleur ou de croyance (lien à l’autre), à respecter la vie sous toutes ses formes et à nous émerveiller du spectacle de l’univers (lien à la nature). »
L’école doit permettre la « mise en croissance d’individualités de haut rang, d’individualités qui puisent en elles-mêmes dans l’éveil progressif de leur génie singulier, la source de leur inspiration intellectuelle, éthique, spirituelle et sociale ». Abdennour Bidar
L’éducation en tant que chemin d’émancipation authentique, de découverte de soi-même et de son unicité, d’enrichissement de l’intériorité, créatrice de relations avec les autres et avec la nature dans des rapports non pas de domination, mais au contraire de respect et fraternité : voilà bien une vision que partage complètement la pédagogie Waldorf, qui veut permettre l’émergence d’individualités autonomes, libres, épanouies, respectueuses des autres et soucieuses de collaborer plutôt que de dominer et possédant une conscience écologique nourrie par un véritable amour de la nature.
Cultiver son humanité plénière
Un autre aspect recouvert par l’idée de « grandir en humanité » est celui de l’importance de cultiver son humanité plénière, c’est-à-dire une « invitation à cultiver toutes les dimensions de nous-même, l’ensemble de nos facultés ». Pour cela il faut « mettre en croissance ou instituer toute notre humanité et non pas seulement la capacité de raisonner et la mémoire ». Les auteurs remarquent que l’école s’est focalisée sur les facultés intellectuelles, oubliant l’imagination, le cœur et le corps, et amenant de fait un développement déséquilibré des enfants. Ils insistent sur l’importance « d’équilibrer dans les programmes les savoirs qui relèvent de la rationalité et ceux qui relèvent de la sensibilité et corporéité », tout en notant que ces savoirs doivent être articulés les uns avec les autres.
La pédagogie Waldorf fait également le même constat de cette importance. Elle a en effet comme principe éducatif fondamental de proposer une diversité d’activités pédagogiques afin de permettre le développement complet de l’enfant, tant sur le plan cognitif, émotionnel que corporel et social.
L’une des propositions des auteurs pour favoriser cette éducation complète et équilibrée est la réalisation par chaque élève d’un certain nombre de chefs d’œuvre, qui impliqueraient de mobiliser des connaissances solides mais aussi de pouvoir aller jusqu’à la mise en œuvre de ces connaissances dans un projet (personnel ou collectif). Cette proposition est mise en œuvre dans la pédagogie Waldorf, qui offre aux élèves de 12ème classe (18 ans) l’opportunité de s’engager dans un projet personnel, appelé d’ailleurs chef-d’œuvre, sur un thème librement choisi, et qui exprime sous les formes les plus originales la pluridisciplinarité des matières proposées et l’éventail concret et vivant des intelligences multiples.
L’éducation au savoir-être et à l’esprit critique
Les auteurs questionnent la place du numérique à l’école et dans la vie des enfants, et en arrivent à la conclusion que le professeur restera le transmetteur indispensable de « l’incitation à développer son esprit critique », « à développer sa curiosité au-delà de ce qui l’intéresse spontanément ». Le professeur ne pourra pas être remplacé dans sa mission « d’accompagner chaque jeune esprit dans l’apprentissage et l’exercice du penser par soi-même, en l’aidant à se diriger dans la pensée et dans l’action de manière critique, créative, attentive ». Amener les jeunes à réfléchir par eux-mêmes, voilà l’une des tâches fondamentales du professeur en établissement Steiner-Waldorf, tout en ayant conscience que le développement de cet esprit critique se fait progressivement, en respectant les besoins éducatifs et pédagogiques que chaque âge nécessite. C’est donc au lycée que l’on verra fleurir cette pensée autonome.
Un autre rôle majeur de l’école, qui ne pourrait pas être mené à bien par des outils numériques, est l’éducation au savoir-être : coopérer, avoir de la compassion et de l’empathie, respecter les autres, savoir être disponible pour l’autre… toutes ces vertus ne pourront jamais être inculquées par une machine.
L’acquisition de ces compétences qui relèvent du domaine du savoir-être est également au cœur de la pédagogie Waldorf. En effet, il n’est pas possible de concevoir une pédagogie visant l’épanouissement de l’enfant dans sa globalité sans prendre en compte ces vertus.
L’enseignement comme un art
Une école qui amène chaque enfant à « grandir en humanité » doit également revoir la place accordée à l’enseignant. L’école a besoin « d’enseignant-expert », et non « d’enseignant-robot », c’est-à-dire des « experts qui savent que le moindre geste peut être déterminant, que toute intervention doit être référée à des finalités assumées, et que leurs pratiques peuvent être éclairées mais jamais dictées par les différentes connaissances scientifiques dont ils disposent ». L’enseignement n’est pas une science mais un « art de faire ».
Un art qui nécessite non seulement des compétences en matière de savoir et une expérience pédagogique et didactique, mais qui requiert également un travail exigeant sur soi afin de maintenir année après année sa passion pour ce qu’il transmet. Ce n’est que lorsque la parole du professeur est vivante qu’elle est apte à intéresser les élèves et à susciter leurs questions.
Cet art pédagogique ne peut se concevoir sans accorder une place à la libre initiative du professeur, « initiative qui s’appuie sur les connaissances pédagogiques et didactiques acquises en formation initiale et continue, s’enrichit au fur et à mesure de son expérience et se nourrit de la réflexion collective dont il peut bénéficier au sein de son équipe et de son établissement ».
En effet, comme le font remarquer les auteurs, il est indispensable de créer un véritable collectif professionnel. S’accorder le temps de partages réguliers entre professeurs, tout à la fois pour construire des projets collaboratifs, pour échanger des expériences, pour apprendre à mieux se connaitre, pour être solidaire.
Il est indispensable de créer un véritable collectif professionnel.
Dans la pédagogie Waldorf, on retrouve ces deux éléments. L’enseignant est un artiste-pédagogue, ce qui implique à la fois la liberté de créer ses contenus pédagogiques pour véritablement s’adapter à ses élèves et la nécessité d’un travail intérieur pour revivifier sa pratique jour après jour. Quant au travail collectif des enseignants, il fait partie intégrante de la vie dans un établissement Steiner-Waldorf, où tous les pédagogues se rencontrent chaque semaine lors de réunions dites de « collège ». Le travail de l’enseignant ne peut être conçu sans cet aspect collégial, qui permet de réunir une pluralité de regards sur un élève, une classe, un projet en cours et de s’enrichir mutuellement.
Ce livre propose ainsi une vision des fondements de l’éducation que la pédagogie Waldorf partage entièrement et regroupe une grande richesse d’idées et propositions pédagogiques dont certaines sont déjà mises en œuvre au sein des établissements Steiner-Waldorf. Preuve que celle-ci reste bien contemporaine !