La liberté de choix éducatif des parents

L’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : une intention préservée?

Bernadette Nozarian, auteure et chercheuse indépendante en sciences de l’éducation, revient sur les péripéties autour de l’écriture de l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, relatif à la liberté éducative. En retraçant l’historique de sa rédaction, elle nous montre les enjeux d’une liberté essentielle : celle du libre choix éducatif des parents…


L’article 26 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’ONU en 1948, est composé de trois paragraphes. Dans le premier, il est fait allusion au droit des enfants à une éducation gratuite et obligatoire, dans le suivant, il est précisé que cette éducation doit viser leur plein épanouissement, et dans le troisième, que le droit des parents à choisir le mode d’éducation de leurs enfants est prioritaire. Néanmoins, le contenu de cet article a donné lieu à bien des dissensions au sein des différentes délégations réunies pour sa rédaction[1].

Un comité de rédaction aux nationalités et cultures très diverses

L’écriture de l’article 26 a commencé en juin 1946 lorsque l’ONU a mis en place un Comité en vue de la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme. Ce comité, de dix-huit membres, était composé de représentants de l’Australie, la Belgique, la Biélorussie – alors incluse dans l’URSS – le Chili, la Chine, l’Egypte, la France, l’Inde, l’Iran, le Liban, Panama, les Philippines, le Royaume Uni, les Etats-Unis, l’URSS, l’Uruguay et la Yougoslavie. Il était présidé par Eleanor Roosevelt, le Chinois Peng-chun Chang en était le vice-président tandis que le Libanais Charles Malik en était le rapporteur. Du personnel administratif de l’ONU assurait le secrétariat, sous la direction du Canadien, John Humphrey.

Les réunions de travail se déroulèrent à New York en janvier 1947, à Genève en décembre 1947, de nouveau à New York en juin 1948 et enfin, à Paris, en novembre 1948. A chacune de ces sessions, les textes furent analysés, discutés et modifiés.

L’éducation : un droit ou une obligation? 

Dans la première version, à l’article 21, l’éducation était présentée comme une liberté fondamentale et à l’article 36, elle était reconnue comme un droit humain. Le professeur Cassin (France) qui avait été chargé de retravailler ces articles, les avait largement modifiés. L’article 36 était devenu l’article 31, mais surtout, le mot « obligatoire » était apparu. « L‘éducation élémentaire doit être gratuite et obligatoire. ». L’introduction de ce mot cristallisa les dissensions entre les délégations.

La première mise en garde émana de M. Easterman, représentant du Congrès juif mondial. Il exprima son inquiétude car selon lui, cette formulation ne mentionnait pas l’état d’esprit qui doit régir l’éducation et que la négligence de ce principe avait mené, en Allemagne, à la deuxième guerre mondiale. Par conséquent, il demandait, et sa requête fut acceptée, que soit ajouté « Cette éducation doit tendre au plein épanouissement de la personnalité humaine, pour renforcer les droits humains et les libertés fondamentales et combattre partout l’esprit d’intolérance et de haine entre les nations ou les groupes raciaux ou religieux. »

Cette réaction eut pour effet de mettre en évidence qu’affirmer que chacun a le droit à l’éducation et organiser un système éducatif n’était pas suffisant en soi, qu’il fallait aussi être vigilant sur l’esprit de cette éducation et qu’elle s’inscrive dans la direction des activités de l’ONU.

Le texte actuel de ce paragraphe est

2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.

Les risques d’un monopole d’Etat en matière d’instruction 

Charles Malik (Liban) fut le premier à alerter sur le risque encouru par les parents si un dictateur leur déniait le droit de choisir le mode d’éducation de leurs enfants. Mais le professeur Cassin  (France) s’opposa à cette vision de la situation. Mademoiselle Schaefer, de l’Union internationale de la ligue des femmes catholiques fit remarquer le risque qu’elle décelait dans cette version. Si l’État assure la gratuité de l’enseignement, alors il est entièrement libre de déterminer le système d’enseignement. Les objections continuèrent à fuser. Ainsi, Madame Mehta (Inde) s’étonna de l’emploi du mot « obligatoire » dans une Déclaration de droits, arguant qu’il s’agissait de concepts contradictoires. Des membres libanais et britanniques allèrent aussi dans ce sens. Mais Monsieur Cassin n’en démordit pas et expliqua que « obligatoire » s’appliquait aux Etats et aux familles qui ne pouvaient priver un enfant d’éducation. Monsieur Lebar (UNESCO) assura aux délégations que ce terme « obligatoire » ne signifiait pas que les Etats exercent un monopole sur l’éducation, ni qu’ils restreignent le droit de choisir des parents. La suppression de ce mot fut soumise au vote et rejetée par huit voix contre sept.

Le droit des parents à choisir le mode d’instruction de leurs enfants : l’opposition de la France

Lors de la réunion du Comité à Paris, en novembre 1948, l’addition du troisième paragraphe entraîna, de nouveau, des discussions et des dissensions. Les délégations libanaise et néerlandaise demandèrent que soit bien spécifié le droit prioritaire des parents à choisir le mode d’instruction de leurs enfants. D’autres membres intervinrent, ainsi Monsieur Watt (Australie) s’inquiéta de la possibilité que d’autres types d’écoles existent.

Finalement, le professeur Cassin exprima son opposition aux amendements déposés par les délégations libanaise et néerlandaise, prévenant que la délégation française ne les voterait pas car ils exprimaient « un point de vue unilatéral à des nations qui pensaient différemment. » D’après lui, rien ne menaçait le droit des parents dans la version de cet article. Divers membres exprimèrent leurs craintes, dans un sens ou dans un autre. La difficulté à tenir compte des intérêts de tous : enfants, parents et Etats fut relevée.

L’amendement, porté par la délégation libanaise, fut finalement adopté, par dix-sept voix contre treize et sept abstentions. Puis le texte complet fut adopté par trente-quatre voix contre zéro et deux abstentions. L’article 23 devint l’article 26 et son troisième paragraphe est ainsi rédigé :

3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants.

Quant au premier paragraphe, il se présente ainsi :

1. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 

Les écoles privées : une garantie pour la liberté de choix éducatif?

En 1951, le premier Directeur général de l’UNESCO, Sir Julian Huxley, identifia ce qu’il appelait une contradiction évidente entre le monopole d’Etat en éducation et la garantie de choix des parents. En effet, pour que les parents puissent exercer leur droit de choix, encore faut-il que les options de choix soient réelles. Mais dans la réalité, l’organisation du système éducatif est-elle verticale ou horizontale ? Quelles sont les possibilités, effectives, de créer des écoles, d’en assurer la pérennité, de recourir à l’instruction hors école, appelée officiellement IEF – Instruction En Famille – alors qu’elle se déroule dans la vraie vie et non dans un sanctuaire ? Dans sa conférence de rentrée 2024, l’association Créer son école, par la voix d’Anne Coffinier, a mentionné le nombre important de fermetures d’écoles.[2]

Quelle place est laissée, en France, aux acteurs non gouvernementaux dans le domaine de l’éducation ? Réduire, empêcher l’ouverture et le fonctionnement d’écoles privées hors contrat, n’est-ce pas tendre vers un monopole étatique de l’éducation ? Et dans ce cas, comment les parents peuvent-ils exercer leur droit à choisir le monde d’instruction de leurs enfants si leur choix se réduit comme peau de chagrin ?

 

Bernadette Nozarian

 

[1]Paper commissioned for the 2021/2 Global Education Monitoring Report, Non State Actors in education

[2]Créer son école (Association). (2023). Conférence de presse de rentrée 2023 : statistiques et analyse des ouvertures d’écoles indépendantes https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=OBTApcdDXvU