Buts et enjeux de l’éducation
les risques d’un enseignement uniformisé
Le verbe « éduquer » vient du latin « ducere » (conduire). Eduquer un enfant, signifierait donc “le conduire vers quelque chose”. Mais vers quoi, et de quelle manière ?
Les enjeux de l’éducation : de l’uniformisation à l’ouverture sur le monde
Eduquer les enfants d’une manière uniformisée, en leur faisant ingurgiter un discours arbitraire ne souffrant aucune opposition ni réflexion ? Durant une période administrativement déterminée ? Une telle méthode, imposée d’en haut, a pour avantage, d’inculquer à chacun, son rôle et sa place dans la société. Le libre épanouissement de sa personnalité n’est aucunement envisagé. Ni même que des personnalités différentes existent et puissent s’épanouir. Ensuite, l’individu vit la vie à laquelle il a été destiné.
Une telle description, rappelle Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley. Mais n’existe-t-elle que dans cette dystopie ?
A contrario, l’éducation peut être perçue comme se déroulant à n’importe quel âge de la vie et faisant appel à de multiples influences extérieures, bien éloignées d’un programme officiel. « Tout l’avenir de l’intelligence dépend de l’éducation, ou plutôt des enseignements de tout genre que reçoivent les esprits. Les termes d’éducation et d’enseignement ne doivent pas être pris ici dans un sens restreint. On songe généralement quand on les prononce, à la formation systématique de l’enfant et de l’adolescent, par les parents ou par les maîtres. Mais n’oublions pas que notre vie entière peut être considérée comme une éducation non plus organisée, ni même organisable, mais, au contraire, essentiellement désordonnée, qui consiste dans l’ensemble des impressions et des acquisitions bonnes ou mauvaises que nous devons à la vie même. L’école n’est pas seule à instruire les jeunes. Le milieu et l’époque ont sur eux autant et plus d’influence que les éducateurs. La rue, les propos, les spectacles, les fréquentations, l’air du temps, les modes qui se succèdent, (et, par mode, je n’entends pas seulement celle du vêtement et des manières, mais celle qui s’observe dans le langage) agissent puissamment et constamment sur leur esprit. » écrivait Paul Valéry, dans Le bilan de l’intelligence.
Pourtant, un autre chemin existe : l’approche centrée sur l’apprenant
L’approche centrée sur l’apprenant
L’apport de l’Education nouvelle
Comme tant d’autres personnes, Paul Valéry avait été profondément marqué par la violence de la première guerre mondiale. Cet état d’esprit et le travail fourni antérieurement par le pédagogue Adolphe Ferrière permirent l’émergence de l’Education nouvelle. En effet, en 1899, Adolphe Ferrière avait fondé le Bureau international des Écoles Nouvelles. Puis, du 30 juillet au 12 août 1921 se tint à Calais, dans un collège de jeunes filles, le Congrès international d’éducation. Il avait pour thème l’expression créatrice de l’enfant.
Cet événement donna lieu à la fondation de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle, qui organisa, entre autres, des rencontres internationales au fil des ans. Les participants pensaient poser les bases d’une éducation de laquelle devait naître un Homme nouveau, qui fonderait une société de paix. L’un d’entre eux s’appelait Alexander David Neill. Il fonda l’école de Summerhill, toujours en activité et aujourd’hui dirigée par sa fille.
A l’occasion de ce congrès, une charte fut rédigée, puis modifiée en 1932 lors du congrès de Nice. Elle commençait par les articles suivants.
1 – Le but essentiel de toute éducation est de préparer lʼenfant à vouloir et à réaliser dans sa vie la suprématie de lʼesprit ; elle doit donc, quel que soit par ailleurs le point de vue auquel se place lʼéducateur, viser à conserver et à accroître chez lʼenfant lʼénergie spirituelle.
2 – Elle doit respecter lʼindividualité de lʼenfant. Cette individualité ne peut se développer que par une discipline conduisant à la libération des puissances spirituelles qui sont en lui.
3 – Les études et, dʼune façon générale, lʼapprentissage de la vie, doivent donner libre cours aux intérêts innés de lʼenfant c’est-à-dire ceux qui éveillent spontanément chez lui et qui trouvent leur expression dans les activités variées dʼordre manuel, intellectuel, esthétique, social et autres.
Que reste-t-il aujourd’hui de ces idéaux ? Quelques modes d’enseignement qualifiés d’alternatifs, qui ont en commun, mais chacun à leur manière, de privilégier le jeu libre, l’apprentissage centré sur l’apprenant, la symbiose entre le rythme d’apprentissage et celui du développement, le lien à la nature, la collaboration plutôt que la compétition, l’acquisition réelle et profonde de connaissances et de compétences plutôt que des cascades d’évaluations.
Multitude de propositions pédagogiques alternatives
Dans une société idéale, méritant sa qualification de démocratique, le droit des parents à choisir, légalement, le mode d’instruction de leur(s) enfant(s) est respecté. Dans cette société idéale coexistent donc différents modes d’éducation. Des établissements se réclamant du système public, d’autres, privés et l’instruction hors école. Chacun présente ses propres particularités adaptées à la multitude des profils, tant des enfants, des adolescents que des adultes.
Que proposent ces établissements privés ? Qu’ils soient désignés comme alternatifs, implique, de fait, l’existence d’une norme et qu’ils s’en éloignent. Une alternative, est, par définition, un choix entre plusieurs possibilités. A lire les pédagogues qui inspirent les équipes de ces établissements, il devient vite évident que l’éducation alternative offre un choix précis : apprendre des connaissances, mais pas uniquement. L’éclosion et l’épanouissement de la personnalité de chacun des élèves accueillis, constitue le cœur de leur pédagogie.
Montessori, Waldorf, Sudbury : des pédagogies adaptées au rythme de l’enfant
Ainsi, Maria Montessori regrettait que « Les écoliers sont tenus de suivre les règles préétablies par l’institut qu’ils fréquentent et de se conformer aux programmes adoptés par les Ministères de l’Instruction Publique. » Elle rappelait, en revanche, que « … l’enfant n’est pas un être vide que nous avons rempli de tout ce qu’il sait. » (L’esprit absorbant de l’enfant) De même, dans une école Waldorf, tenue, comme tous les établissements, qu’ils soient publics ou privés, de mener ses élèves à la maîtrise du socle commun de compétences, de connaissances et de culture, l’enseignement est judicieusement organisé.
Voyons l’exemple des « périodes ». Pendant trois ou quatre semaines, les deux premières heures de cours sont consacrées à l’étude d’un thème donné. Le sujet est étudié en profondeur, sous différents angles et de manière suivie. Les élèves s’en saisissent véritablement, sont immergés dedans. Il ne s’agit en aucun cas d’une étude saucissonnée et décontextualisée. La compréhension personnelle de ce sujet, par chaque élève, est ensuite mise en mots et en dessins dans un cahier de période. Certains s’avèrent être de véritables œuvres d’art. Toutes les matières ne sont pas d’emblée concernées par ce découpage horaire. Cette mise en place se fait en adéquation avec le développement des enfants.
Les écoles démocratiques, appellation française des écoles inspirées par la Sudbury Valley School, ouverte en 1968 dans le Massachusetts, offrent encore un autre modèle. Peter Gray, psychologue du développement, directeur de recherche au Boston College et fin connaisseur de toutes les facettes de ce type d’établissement, mentionne, au fil de ses travaux, les multiples aspects positifs de leur pédagogie dans la construction personnelle de leurs élèves.
Il déplore, en revanche, le rythme scolaire actuel avec l’allongement constant de la journée d’école, complétée par des devoirs, des cours particuliers, des activités extra-scolaires et la perte d’occasions de jouer librement. A ces contraintes s’ajoutent, en plus, le poids des évaluations scolaires. « Ce qui importe dans le monde de l’éducation actuel, ce sont les performances qui peuvent être évaluées et donner lieu à des comparaisons entre les élèves, entre les écoles, voire même entre les pays, pour voir qui est le premier et qui est le dernier. Le savoir qui n’est pas inscrit dans le programme scolaire, même si ce savoir est profond, ne compte pas. » (Libre pour apprendre) Précisons que de nombreux travaux de recherche ont démontré les effets pervers de ces évaluations à gogo. Enfin, que reste-t-il aux enfants, après de telles journées, comme temps à passer avec leurs familles, avec d’autres adultes référents, pour échanger, se construire, acquérir des valeurs morales, des repères ? Pour que des Anciens leur transmettent leur savoir-faire et leur mémoire ?
Les écoles dans les bois par l’équilibre qu’elles proposent avec la nature, l’instruction en famille, par sa totale adaptabilité aux besoins de l’enfant, constituent d’autres voies éducatives. La diversité et la coexistence de toutes ces pratiques sont essentielles au développement harmonieux de tous.
La nécessaire coexistence des pédagogies, gage d’une société démocratique
Si nous observons très attentivement, les différents moyens – ou le moyen unique – mis en œuvre pour éduquer les enfants, au-delà des discours officiels, nous voyons alors la réelle nature de cette éducation.
Que nous restera-t-il si, du fait d’un arbitraire sans recours, l’éducation s’uniformise totalement ? Si des informations / connaissances sont introduites dans le cerveau des enfants d’une manière uniforme ? La désolation psychique des enfants, des adolescents, et sans doute aussi, des adultes. Et peut-être pire… « Jusqu’à ce qu’enfin, l’esprit de l’enfant, ce soit des choses suggérées, ce soit l’esprit de l’enfant. Et non pas seulement l’esprit de l’enfant. Mais également l’esprit de l’adulte – pour toute sa vie. L’esprit qui juge et désire, et décide – constitué par ces choses suggérées. Mais ces choses suggérées ce sont celles que nous suggérons, nous ! (…) Que suggère l’Etat. » (Le meilleur des mondes, Aldous Huxley)