Quelle place pour l’art dans la santé mentale et l’éducation?

L’apport de l’art dans la construction de l’individu

L’art joue-t-il un rôle dans la préservation de la santé mentale des élèves ? Quelle place lui est-elle accordée dans l’éducation ? Notamment dans les pédagogies alternatives ? L’art ne touche-t-il que les enfants ?


La santé mentale des collégiens et des lycéens en France : des chiffres qui font réfléchir

Les résultats d’une enquête sur la santé mentale des collégiens et des lycéens scolarisés dans des établissements publics et privés sous contrats, en métropole, ont été publiés en avril 2024.

La collecte des données a eu lieu en 2022 dans 147 collèges et 90 lycées , touchant ainsi 11 886 élèves, soit 7 237 collégiens et 4 649 lycéens. Après le refus de certains parents (3,5 %), préalablement informés de cette enquête par courrier, le refus de participer à cette enquête par certains élèves  (2,0 %) et la non prise en compte des réponses inexploitables  émises par 1,3 % des élèves, il est demeuré un échantillon analysé de  réponses de 9 337 élèves, dont 5 919 collégiens et 3 418 lycéens. Soit donc un taux de réponse de 84 % chez les collégiens et de 75 % chez les lycéens.

L’âge moyen des collégiens était de 12,9 ans et celui des lycéens, de 16,5 ans. Cette enquête s’est déroulée sous la forme d’un questionnaire anonyme rendu accessible en ligne aux élève

La santé mentale des adolescents : quelles tendances ?

Quelques tendances sont observées dans cette enquête. L’augmentation des plaintes récurrentes chez les collégiens, par exemple. Il s’agit de plaintes somatiques ou psychologiques déclarées plus d’une fois par semaine au cours des six derniers mois. Une augmentation avait déjà été observée entre 2010 et 2014. En 2017 et en 2022, ce type de plaintes a de nouveau été en forte augmentation : + 6 points chez les garçons et + 14 points chez les filles.

Une autre tendance constatée est l’évolution, à la hausse, du risque de dépression chez les collégiens. Ce risque est mesuré selon l’échelle ADRS. Après une stabilité en 2014 et en 2018, une augmentation notable a été constatée entre 2018 et 2022, soit 2 points de plus chez les garçons, passant ainsi de 5,2 % à 6,9 % et 8 points de plus chez les filles, passant de 13,4 % à 21,4 %.

L’évolution des pensées suicidaires chez les lycéens suit une tendance analogue. De 2018 à 2022, la proportion de garçons concernés a augmenté de 4 points, touchant ainsi 17,4 % d’entre eux, contre 13;3 % précédemment. Selon cette enquête, une fille sur trois ,  30,9 %, en 2022, est concernée par cette tendance, qui a connu une augmentation de 7 points.

Des facteurs de risque identifiés

Divers facteurs de risque sont identifiés « Pandémie de Covid-19, conflits armés, attentats, crise climatique, pression scolaire, risques liés à internet et à l’utilisation des médias sociaux sont autant de facteurs identifiés qui pourraient contribuer à expliquer que la santé mentale des jeunes s’est nettement dégradée. » Cette tendance n’est pas une nouveauté, mais repose sur un constat antérieurement réalisé. Déjà amorcés avant la pandémie de Covid-19 – les données 2018 montraient un risque de dépression élevé chez les collégiens et lycéens français ainsi qu’une augmentation des signes de nervosité, d’irritabilité et des difficultés d’endormissement – nos résultats montrent que les indicateurs mesurés se sont de nouveau détériorés avec des écarts importants entre les filles et les garçons. »

Par ailleurs la France n’a pas le triste apanage de cette situation qui semble aussi toucher de nombreux adolescents dans d’autres pays.  « On notera que ces constats sont partagés par la grande majorité des pays participant à l’enquête HBSC6. »

Un des facteurs d’explication de ces chiffres est peut-être que les générations d’aujourd’hui, sont  « plus ouvertes au dialogue que les générations passées et que la médiatisation du sujet de la santé mentale ait facilité l’expression de symptômes dans les enquêtes. »

Dans cette étude, il est également rappelé que «une dégradation de la santé mentale peut avoir des effets négatifs sur la santé mentale future. » L’accès à des informations sur les moyens de prendre soin de sa santé mentale, à des dispositifs accessibles et fiables est donc essentiel, tout comme à « des applications ou des programmes de  – santé permettant d’accéder à des programmes brefs de relaxation ou de méditation – peut contribuer à gérer les symptômes de stress. » L’éducation nationale aussi est sollicitée. « De même, l’Éducation nationale, prenant la mesure de ces besoins augmentés, met en place divers leviers (formation de référents en santé mentale, protocoles spécifiques, développement des compétences psychosociales tout au long de la scolarité…). »

Puisque selon l’adage populaire, mieux vaut prévenir ue guérir et que ces facteurs de risque sont identifiés, que serait-il possible de mettre en place, en amont, pour préserver la santé mentale de nos adolescents ?

L’art au secours de la santé mentale ?

L importance de l’art dans l’enseignement fait l’objet de nombreux travaux de recherche,. que l’art soit une composante du programme ou utilisé à des fins de restauration de la personne, avec des enfants migrants par exemple. D’ailleurs, l’essor de l’art-thérapie et des études à ce sujet, témoigne de la fréquence de son usage.

Quelle place est donnée à l’art en milieu scolaire ? Selon vos souvenirs d’élève, vous vous rappelez d’une malheureuse petite heure, placée ici ou là, dans l’emploi du temps, une heure peu considéré, ce que vous regrettiez peut-être. Ou, au contraire, vous vous souvenez de pratiques artistiques enrichissantes, pleines de sens, qui vous guident encore aujourd’hui.

Art et éducation

Dans un article publié en octobre2014, intitulé  Art just for artists ? Consideration based on R. Steiner,  Karoline Schleder et Tania Stoltz, de l’université fédérale du Panama ont cherché à comprendre le rôle de l’activité de création artistique dans le processus de développement humain en se basant sur les théories de Rudolf Steiner, de Goethe et du poète Friedrich Schiller  En quoi ces positions se rejoignent et se complètent-elles et quels apports en résultent pour les enfants ?

Les résultats observés chez des adultes

Steiner a démontré l’importance des activités artistiques pour faciliter le processus cognitif

Les deux chercheuses rappellent que Steiner a démontré l’importance des activités artistiques pour faciliter le processus cognitif. En effet, ces activités contribuent au développement de l’observation et de la pensée intuitive. Ce qui va de pair avec le développement de la conscience et de la responsabilité, attributs caractéristiques d’une personne cherchant à assumer sa propre liberté.

Les adultes interrogés par ces chercheuses dans le cadre de leur étude ont justement mentionné que les moments de création artistique représentaient pour eux des moments de découverte personnelle, d’apprentissage par eux-mêmes et leur permettaient de surmonter des moments difficiles.

Dans nos sociétés, où les rapports sont essentiellement de nature économique et instrumentale, les individus perdent leur autonomie, tandis que seul l’intellect est privilégié.

Différents chercheurs ont mis en évidence que dans nos sociétés, où les rapports sont essentiellement de nature économique et instrumentale, les individus perdent leur autonomie, tandis que seul l’intellect est privilégié. Comme l’affirme Duarte Jr, cité par ces deux chercheuses, dans un tel contexte, l’activité créative artistique et l’éducation de ses sens offrent à l’être humain, la possibilité de retrouver ces caractéristiques perdues, si fondamentales pour son développement.

Ces deux chercheuses précisent aussi que de nombreuses études rendent compte du rôle de l’activité artistique dans le développement humain. Mais comment cela est-il possible ? Elles renvoient aux travaux de Welburn relatifs aux écrits de Steiner sur la méthode cognitive, qu’il supposait basée sur deux caractéristiques humaines : les sentiments et les désirs. Et la pensée est liée à ce processus.

Pour Steiner, un individu libre est un individu qui agit de manière consciente, sur la base de ses désirs, de ses sentiments et de sa responsabilité.

Lors de l’analyse de leurs résultats, les deux chercheuses ont constaté chez les participants à leur étude, que le contact avec l’art les avait menés à prendre conscience de leurs actions et de leur liberté d’agir. Cette constatation rejoint la réflexion de Schiller, telle qu’il la décrit dons son Education esthétique de l’homme, à propos du caractère sauvage ou barbare de l’homme par opposition à l’homme qui sait faire de sa nature propre, son amie, et honore sa liberté.

Un autre enseignement de cette étude est que l’art permet de dépasser les difficultés personnelles grâce à son influence sur le développement de la pensée intuitive qu’il induit. Ce résultat découle de la stimulation de l’observation et de la réflexion en les liant aux sentiments et aux désirs.

Finalement, ainsi perçue, l’exposition à l’art apparaît comme une démarche profonde aux conséquences durables et vitales. Il ne s’agit pas d’un exercice de coloriage en s’efforçant de ne pas dépasser le contour du dessin, ni de barbouillage de peinture. Il n’importe pas non plus que les enfants deviennent des artistes mondialement reconnus et, encore moins, est-il question ici de strass et de paillettes. Il s’agit de faire émerger, dans le petit enfant, des éléments qui le porteront et l’accompagneront durant toute sa vie d’adulte. Il s’agit de construire un adulte de demain. Solide, autonome, libre, responsable. En prenant en compte tous les aspects de sa personnalité et en les respectant.

D’ailleurs, dans la revue de littérature intitulée The role of arts activities in developing resilience and mental wellbeing in children and young people a rapid review of the literature, publiée dans Perspectives in Public Health en juin 2017, Hilary Bungay de Anglia Ruskin University s’est penchée sur les nombreux travaux relatifs à l’effet produit par les activités artistiques sur l’équilibre et la résilience d’enfants âgés de 11 à 18 ans. Le résultat de sa recherche met en évidence que la participation à des activités artistiques génère entre autres,  des effets positifs sur la confiance et l’estime de soi .

Pour rendre cette démarche possible, une pédagogie spécifique doit être élaborée et mise en place. Est-ce possible dans tous les établissements scolaires ?

Bernadette Nozarian

 

Tous les chiffres de l’enquête publique française

  • La majorité des élèves de collège et de lycée se perçoivent en bonne santé et sont satisfaits de leur vie actuelle.
  • 59% des collégiens et 51% des lycéens présentent un bon niveau de bien-être mental.
  • 21 % des collégiens et 27 % des lycéens déclarent un sentiment de solitude.
  • La présence de plaintes somatiques et/ou psychologiques récurrentes concerne 51 % des collégiens et 58 % des lycéens.
  • 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression.
  • 24 % des lycéens déclarent des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, 13 % avoir déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie et environ 3 % une tentative avec hospitalisation.
  • La santé mentale et le bien-être des élèves se dégradent durant le collège et ne s’améliorent pas au lycée.
  • Globalement, les filles présentent une santé mentale moins bonne et un niveau de bienêtre moins élevé que les garçons.
  • Sur la période 2018-2022, les collégiens et les lycéens ont connu une dégradation de leur santé mentale et de leur bien-être, plus marquée chez les filles.

 

En cas de besoin, précisions des auteurs de l’étude

« Rappelons qu’en présence d’idées suicidaires, pour un proche ou pour vous-même, vous pouvez appeler le 3114. Les professionnels du numéro national de prévention du suicide vous répondent 24h/24 et 7J/7. L’appel est gratuit et confidentiel.

+d’info sur la santé mentale et les ressources disponibles

  • https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale
  • https://www.psycom.org/
  • https://www.filsantejeunes.com/mal-etre/covid-et-mal-etre
  • https://3114.fr/ »