Arts plastiques à l’école primaire

Bien plus que des activités manuelles

Et si les arts plastiques n’étaient pas de simples activités récréatives, mais un véritable levier pour le développement de l’enfant ? Dans cet article, nous explorons l’impact profond de la pratique artistique à l’école primaire. L’approche pédagogique des écoles Waldorf, en particulier à travers la peinture et le modelage à l’école primaire, nous servira de fil conducteur pour illustrer le rôle essentiel de ces disciplines dans la construction de l’enfant, tant sur les plans émotionnels que cognitifs, manuels et sociaux.


Pourquoi accorder une vraie place aux arts plastiques à l’école primaire ?

Si les arts plastiques figurent au programme de l’école primaire, leur place effective reste souvent marginale, la priorité étant ouvertement consacrée aux « savoirs de base ».  Selon un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN, 2007), l’éducation artistique et culturelle souffre d’une mise en œuvre inégale et d’un manque de formation des enseignants. Les séances sont souvent dépendantes d’intervenants extérieurs et peu intégrées dans le temps scolaire régulier. Pourtant, les recherches contemporaines s’accordent à reconnaître leur rôle fondamental dans le développement de l’enfant.

Introduire les élèves aux processus artistiques […] permet de cultiver, chez chacun, la créativité et l’initiative, une imagination fertile, l’intelligence émotionnelle et une forme de boussole morale. Unesco

Selon l’UNESCO, « introduire les élèves aux processus artistiques tout en intégrant des éléments de leur propre culture dans l’enseignement permet de cultiver, chez chacun, la créativité et l’initiative, une imagination fertile, l’intelligence émotionnelle et une forme de boussole morale. L’art développe aussi la pensée critique, l’autonomie et la liberté de pensée et d’action. En outre, l’éducation dans et par les arts stimule le développement cognitif et rend les apprentissages plus pertinents au regard des besoins des sociétés modernes dans lesquelles vivent les enfants ». Une longue liste de compétences indispensables que nous ne pouvons que souhaiter développer chez les enfants.

De son côté, l’OCDE, dans son rapport l’art pour l’art ? (2013), souligne que la pratique régulière du dessin, de la peinture ou du modelage améliore l’attention, la motricité fine, la mémoire de travail et la capacité à comprendre des concepts abstraits. Les bénéfices de la pratique artistique se ressentent donc au-delà du cours d’art et peuvent permettre « de développer des compétences qui améliorent les performances dans les matières scolaires non artistiques telles que les mathématiques, les sciences, la lecture et l’écriture ».

Armelle Rancillac, chercheuse à l’Inserm et ancienne élève Waldorf a bénéficié lors de sa scolarité de nombreux cours d’art (mais aussi d’artisanat). Dans un témoignage vidéo recueilli par l’ANPAPS, l’association de parents et anciens élèves Waldorf, elle résume les bénéfices de cette pratique artistique riche et variée : « J’ai l’impression que je n’ai pas de limites et que je peux tout faire, et ça c’est grâce à la diversité de toutes les disciplines qu’on a eues à l’école ». Un constat partagé par l’astronaute et ancienne élève Waldorf Sarah Gilis, qui explique en quoi l’art pratiqué quotidiennement dans les écoles Waldorf lui a permis de développer des compétences se transférant dans bien d’autres domaines : « Je suis devenue ingénieure mais le fait d’avoir une formation artistique permet de faire appel à la créativité et à l’imagination pour résoudre les problèmes : il y a une synergie incroyable entre ces deux éléments. »

Redonner toute sa place aux arts plastiques à l’école primaire, c’est donc offrir aux enfants un espace où leur créativité, leur sensibilité et leur intelligence peuvent pleinement s’exprimer, tout en soutenant leur développement cognitif, émotionnel et social.

Les écoles Waldorf placent l’art au cœur de leur projet pédagogique, non seulement par l’intégration profonde des disciplines artistiques dans l’ensemble des matières mais aussi grâce à la régularité et la qualité cours qui lui sont dédiés.  Et si cette pédagogie alternative pouvait inspirer une autre voie pour l’enseignement des arts ?

L’expérience artistique comme fondement d’un développement global et harmonieux

La pédagogie Steiner-Waldorf est holistique en ce sens qu’elle s’attache à développer toutes les aptitudes : cognitives, volontaires et les facultés émotionnelles. L’expérience artistique y occupe donc une place centrale par sa capacité à éveiller simultanément l’imagination fertile, la volonté d’agir et la pensée structurée. L’art est un moyen d’expression et de compréhension qui touche toutes les dimensions de l’enfant : sensorielle, motrice, émotionnelle et cognitive. Par la rencontre vivante avec la matière, la couleur, la forme ou le rythme, l’enfant développe une relation profonde à lui-même, aux autres, et au monde qui l’entoure.

Pour illustrer comment l’art peut se pratiquer à l’école primaire Waldorf, nous prendrons l’exemple des cours de peinture et de modelage, disciplines que l’on retrouve dans toutes les écoles Waldorf. Ces pratiques ne sont ni codifiées ni figées : chaque professeur est libre de les adapter à ses élèves, l’important étant d’avoir une pratique qui évolue et se transforme au fil des années, s’adaptant aux besoins, aux capacités et au développement spécifique de chaque étape de l’enfance. Ainsi, ce qui commence par une découverte sensorielle intuitive des couleurs ou des volumes devient progressivement une expérience plus technique et réflexive, qui accompagne l’enfant dans la construction de son rapport au réel et de son expression personnelle.

La peinture : entrer dans le monde par la couleur

La peinture est introduite dès le jardin d’enfants et se poursuivra tout au long du cycle primaire. L’enfant est invité à entrer dans l’univers des couleurs non pour représenter, du moins au départ, mais pour ressentir les qualités, en expérimentant directement leurs effets et leurs relations. L’approche utilisée — l’aquarelle sur papier mouillé — se prête particulièrement bien à cette exploration : elle permet aux couleurs de se mêler, de dialoguer entres elles dans un mouvement fluide et lumineux.

Une expérience sensorielle au jardin d’enfants (3–6 ans)

Vivre les couleurs au jardin d’enfants par l’expérience de l’aquarelle sur papier mouillé

L’atelier peinture est une activité hebdomadaire qui s’inscrit dans le rythme du jardin d’enfants. Chaque semaine, l’enfant s’immerge dans le monde des couleurs, en peignant avec une ou plusieurs couleurs primaires (le choix des couleurs du jour étant fait par la jardinière d’enfants), en larges mouvements amples et harmonieux. L’enfant explore les mélanges, observe les effets de l’eau, ressent les transitions de lumière. Il ne s’agit pas de représenter, mais de vivre la couleur, dans l’instant. C’est ainsi qu’il éveille sa sensibilité esthétique, affine sa coordination œil-main tout en développant sa présence à lui-même.

Vers une structuration progressive à l’entrée en première classe (6 ans /CP)

Illustration de la séparation ténèbres et lumière dans un cours de période sur le récit de la création en mythologie hébraïque

La peinture reste une activité hebdomadaire tout au long de l’école élémentaire. Entre 6 et 9 ans, elle va évoluer vers une approche plus construite. Les élèves sont invités à peindre des formes simples — cercles, arcs, paysages stylisés… — en explorant les contrastes, les symétries et les gradations de teintes. Ils découvrent l’harmonie des couleurs et apprennent à observer leurs effets. Leurs gestes vont se structurer afin de commencer à mieux maitriser l’eau et la peinture et leur interaction.

 

L’approche plus réaliste à partir de 9 ans

À partir de 9 ans, l’enfant devient plus conscient du monde extérieur. Il cherche à comprendre et à représenter. La peinture accompagne ce tournant, en gagnant en précision. Les élèves apprennent à représenter des scènes du réel (comme des paysages par exemple), en observant des formes naturelles, en étant attentif à la lumière et à l’ombre, en travaillant les couleurs de terre (les couleurs ne sont pas données toute faites, c’est aux élèves de les trouver à partir des mélanges des couleurs primaires), en affinant les nuances et les proportions. L’objectif est de favoriser l’expression personnelle à travers une forme qui devient de plus en plus maîtrisée.

 

Le modelage : penser avec les mains

Complémentaire à la peinture, le modelage engage la totalité du corps, dans un dialogue direct avec la matière. À travers la cire ou l’argile, les enfants construisent un rapport vivant à la forme, à l’espace et au volume. C’est une activité d’ancrage et de concentration.

L’éveil tactile de la petite enfance (3–6 ans)

Les plus jeunes manipulent librement de la cire d’abeille tiédie, avec plaisir, sans attente de résultat de la part de la jardinière d’enfants. L’enfant peut choisir ce qu’il veut créer, ses gestes s’affinant et ses productions se précisant au fur et à mesure qu’il grandit. Il découvre la souplesse de la matière et le plaisir de créer par ses mains. Ce faisant, il développe sa motricité fine et éveille sa sensibilité tactile.

Donner forme à l’imaginaire

Modelage d’animaux lors de la période de zoologie en 4ème classe.

A l’entrée à l’école primaire, les élèves continuent de faire du modelage en cire et découvrent le travail de l’argile. Des consignes sont maintenant introduites, dans le but d’arriver à des formes de plus en plus élaborées : animaux stylisés, personnages de récits, éléments de la nature. L’enfant apprend à sentir avec ses mains, à affiner son observation, à persévérer et ses gestes se structurent peu à peu.

A partir de la 4ème classe (10 ans environ), l’élève s’engage dans des travaux de plus en plus précis, notamment avec le modelage des animaux en lien avec la période de zoologie, où l’on cherche à modeler les formes animales de manière la plus rigoureuse possible.

 

L’art, un besoin vital pour l’enfant

Une figure géométrique devient une œuvre d’art : travail lors de la période de géométrie en 6ème classe

Laissons des enfants jouer librement, dans un milieu le plus simple possible et observons-les : une planche devient un bateau, un balai la rame, des tissus de l’eau, ils imaginent des histoires… tout en eux, lorsqu’on les laisse dans un environnement qui favorise leur liberté, révèle un besoin profond de s’exprimer, de transformer, de créer. L’art permet lui aussi de répondre à ces besoins :  il est une nourriture intérieure, au même titre que le mouvement, le langage ou le lien humain.

Dans les écoles Waldorf, cette nécessité est reconnue, respectée, accompagnée. L’art n’y est pas cantonné à quelques heures d’activités plastiques. Il traverse le quotidien et toutes les disciplines : une aquarelle pour explorer les saisons, un modelage pour accompagner un récit, une table de multiplication soigneusement illustrée. Ce lien vivant entre art et contenu favorise l’appropriation intérieure des savoirs : l’enfant ne se contente pas de comprendre, il ressent, il transforme, il exprime. L’art ne vient pas illustrer un savoir ; il le transforme en expérience vécue.

Créer, c’est toujours faire un pas vers l’avenir, vers ce qui n’existe pas encore.

Dans la pédagogie Steiner-Waldorf, il ne s’agit pas de former des artistes, mais de permettre à chaque élève de se confronter avec une démarche artistique, car celle-ci nourrit profondément l’enfant par les forces vivifiantes qu’elle insuffle. Créer, c’est faire advenir quelque chose de neuf, qui n’existe pas encore, et qui, selon les mots de Jean-Pierre Ablard, professeur de classe Steiner-Waldorf, « nous emmène vers l’avenir ». Lorsque l’enfant s’adonne au modelage, à la peinture… « quelque chose va naitre dont il n’a pas encore conscience, une présence qui vient de l’avenir vers l’élève et qui va orienter son geste […] Ainsi, l’élève apprend à accueillir l’inconnu, à accepter ce qu’il ne maîtrise pas encore mais qu’il découvrira peu à peu. Cette expérience est profondément formatrice, car à travers elle, l’enfant part aussi à la découverte de lui-même ». L’art devient alors un miroir de son intériorité, mais pas de son passé, de ce qu’il porte de plus profond en lui et qui n’existe pas encore. En ce sens, l’art est aussi un tremplin vers sa propre liberté, en lui permettant d’inventer le futur plutôt que de répéter le passé.

En permettant à l’enfant d’entrer dans un véritable dialogue intérieur par le geste artistique, la pédagogie Steiner-Waldorf l’aide à rencontrer ce qu’il porte de plus essentiel, de plus vivant en lui : elle l’aide à devenir pleinement humain.