Art & Avenir
“Rendre l’avenir possible”
Tous les jours des milliers d’enfants viennent au monde et nous rappellent qu’ils comptent sur nous pour les aider à grandir sur la planète que nous leur laisserons en héritage. Une chose est certaine, si demain n’est que la répétition d’hier, alors l’avenir est compromis.
L’avenir de nos enfants n’est pas une réplique du passé, c’est une question ouverte.
« Pour ce qui concerne le futur, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible » — Antoine de St Exupéry
Rendre possible le futur, c’est laisser de la place à ce que l’on ne connaît pas encore, c’est s’interdire de faire des « copier-coller » entre le passé et ce qui vient vers nous. Comment se préparer à rendre l’avenir possible ? Il n’y aura d’avenir que si les hommes de demain sont capable de créer ce qui n’existe pas encore. Chaque époque a sa tâche particulière, celle du 21e siècle sera de trouver les chemins qui conduisent hors des impasses économiques, écologiques que nous connaissons bien. Il faut l’affirmer, la culture de la créativité ne s’apprend pas dans des livres, elle n’est pas de nature intellectuelle, elle se vit dans l’expérience artistique qui, par définition se doit d’interpeller le créateur en l’homme.
Lorsque l’on s’adonne à une activité artistique quelle qu’elle soit, et quel que soit le niveau auquel on la pratique, on se rend compte qu’elle commence là où s’arrêtent les idées toutes faites. L’artiste créateur s’élance vers un futur qu’il ne connaît pas et va à la rencontre de sa création avec un esprit d’ouverture totale vers ce qui vient. Qu’est-ce qui caractérise l’acte de création : c’est la vie qui l’anime. Et qu’est ce qui caractérise la vie ? Là encore Christian Bobin nous transmet une des fulgurances dont il a le secret : « ce qui fait le vivant, c’est l’événement et l’événement, c’est ce qui ne se protège pas de sa perte. »
Notre siècle a besoin d’hommes et de femmes pétris d’humanité qui osent s’avancer vers l’inconnu, sans bétonner leur route. De tels êtres humains s’appellent des artistes. De ce fait, la culture artistique devrait être une priorité éducative absolue dans un monde où l’on sent se fermer doucement les portes du futur.
« On demande toujours trop aux écrivains. Comme s’ils détenaient un savoir abondant, disponible jour et nuit. Comme si on écrivait à partir d’un savoir. C’est l’inverse qui est vrai : on ne peut bien écrire que ce que l’on ignore. On ne peut écrire qu’en allant vers l’inconnu – et non pour le connaître, mais pour l’aimer. » — Christian Bobin – Éloge du rien
C’est pour cela que le développement des qualités artistiques latentes en chaque enfant a été et est toujours un des objectifs majeurs de la pédagogie Steiner Waldorf, non seulement pour permettre à l’enfant de s’inscrire dans un contexte culturel ou mieux encore multiculturel, mais aussi et surtout pour lui permettre de faire des pas décisifs dans la rencontre avec ce qu’il porte de plus profond en lui.
La pratique artistique comme ouverture sur le monde
La pratique de l’art conduit toujours à la découverte de ressources, d’impulsions, de dynamismes qui font intégralement partie de nous-mêmes et qui tendent à disparaître s’ils ne sont pas cultivés. L’art est un miroir qui autorise celui qui le pratique à entrer en dialogue avec ce qu’il y a de meilleur en lui-même, car l’art, est tourné vers l’avenir, vers ce qui vient. Entrer dans un processus de création c’est toujours laisser venir vers soi ce qui n’existe pas encore. La pratique artistique demande de la patience, de l’endurance même, mais elle est aussi génératrice de forces, d’énergie. Elle contribue au développement de savoir-faire et aussi de savoir-être. L’enfant a besoin de l’art pour grandir comme de l’air pour respirer.
Il ne s’agit pas de faire des artistes professionnels, il s’agit de cultiver des dispositions artistiques, c’est-à-dire des capacités – à partir de situations de la vie de tous les jours – à engager des processus de régénération, de vivification aussi inattendus que réellement progressistes. La fantaisie artistique n’est pas le seul apanage du musicien ou du peintre, c’est elle qui permet à l’homme de la rue de redécouvrir la beauté et la richesse des rencontres humaines et autres.
Peinture, dessin, chorale, orchestre, sculpture, travaux manuels, forge, dinanderie etc. sont enseignés dans les classes. Mais plus encore, la pédagogie Steiner Waldorf ne sépare pas les matières artistiques des matières intellectuelles, elle essaye de cultiver l’élément artistique dans tous les domaines. Un cours de grammaire, un cours de mathématiques peut être une véritable œuvre d’art non pas dans les éléments qu’ils apportent mais dans la manière de le conduire, dans sa respiration, son rythme, sa dynamique interne. Ceux qui jouent aux échecs le savent, au-delà de la logique implacable il existe une beauté, une éthique qui se manifeste dans l’art de conduire la partie.
Depuis un siècle, la pédagogie Steiner Waldorf travaille dans le monde entier à développer la dimension artistique de son enseignement, en ce sens, elle répond au besoin le plus pressant de notre temps : rendre l’avenir possible.
Philippe Perennes, professeur à l’école Mathias Grünewald