Travailler le cuivre à l'école

L’atelier dinanderie

Rencontre avec le cuivre à l’école Waldorf

Le cursus pédagogique Steiner-Waldorf laisse la place belle à la découverte des métiers de l’artisanat. Découvrez à travers le témoignage de ce professeur les multiples vertus pédagogiques du travail du cuivre, généralement pratiqué à la fin du collège ou au début du lycée.


Lorsqu’un visiteur s’approche de l’atelier où est enseigné la dinanderie, une sorte de tremblement sonore ou plutôt de roulement insistant, rappelant celui de l’orage menaçant, l’avertit qu’une activité peu commune se pratique dans ce lieu. Aussi, quand, intrigué, il ouvre grand la porte de l’atelier, il comprend subitement l’ampleur de son pressentiment. Sans transition, il se trouve catapulté dans l’épicentre même de l’orage dont le roulement lointain se mue en explosion, voire en éruption apocalyptique tant le vacarme assourdissant qui l’assaille est homérique, titanesque, tout simplement insupportable. Il est si puissant que toute communication orale est alors superflue. Seuls les gestes et les expressions du visage sont encore à même de transmettre un quelconque message.

Atelier cuivre à l'école Steiner Waldorf

Dans cet univers infernal, ce sont les marteaux qui règnent en maîtres, qui sont les véritables seigneurs de ces lieux ! De toutes tailles, de toutes formes, ils frappent, tapent, rythment au gré́ de leurs envies ou de leur fantaisie sur de petites enclumes résonnantes sans discontinuer. Quel tintamarre ! Quel chaos sonore ! Outre ces roulements de tambour insupportables pour toute oreille humaine, d’autres outils cherchent aussi à être de la partie et contribuent à leur façon à amplifier le chaos général : les limes et les râpes grincent, les cisailles crissent, les chalumeaux « brûleurs » ronflent, les moules à bois résonnent, les acides rongent….. bref le visiteur peut avoir le sentiment d’être tombé dans les profondeurs du Tartare ou tout au moins dans la forge du dieu Vulcain dans les entrailles de l’Etna ! Mais il n’en est rien ! Il est tout simplement au sein d’un atelier où un douzaine d’élèves appliqués s’exercent avec plus ou moins de réussite, à marteler les plaques de cuivre afin de leur offrir relief et structure, à les découper, à les modeler, à les poncer, à les lustrer selon un plan préalablement imaginé et dessiné par eux.

C’est ainsi que des bracelets, des bougeoirs, des appui-livres, des porte-lettres ou même des plats sont façonnés suivant un processus de fabrication artisanal rigoureux, jalonné d’étapes strictes et contraignantes. Pour supporter le vacarme que nécessite cette initiation à la dinanderie, les élèves se protègent les oreilles avec du coton ou des boules « quiès », cela va de soi. Puis ils découvrent les outils mis à leur disposition et surtout ce matériau nouveau pour eux qu’est le cuivre. Il s’étonnent alors, outre sa beauté aux chauds reflets orangés, de la docilité de ce métal, de son extraordinaire malléabilité, de son entière soumission à toutes les manipulations que l’on veut bien lui faire subir.

Le cuivre accepte tout sans protester. On peut le couper, le plier, le limer, le marteler, le creuser, le repousser, le chauffer, le laver à l’acide, le lustrer….. sans protestation ou révolte de sa part. Cette grande souplesse autorise, on s’en doute, une créativité infinie quant aux formes des objets que l’on désire fabriquer. C’est ce que firent avec art les civilisations antiques à une époque où seul le cuivre, outre l’or et l’argent, était disponible.

Dans les écoles Waldorf, la dinanderie est généralement enseignée aux élèves de la 9° classe, c’est à dire à des jeunes de 15 ans environ. Jusqu’à cet âge et depuis la première classe, ils ont été confrontés dans le cadre des cours dits de travaux manuels à toutes sortes de matériaux choisis en fonction de leur âge et de leurs aptitudes manuelles. En première classe, c’est la cire d’abeille et la laine, matériaux tendres et remplis de chaleur. Puis les années suivantes l’argile prend la relève. De la 6° à la 8° classes la sculpture sur le bois affine par de longs exercices leur relation à un matériau encore souple et malléable. Pendant toutes ces années les élèves s’exercent quotidiennement au toucher de ces matériaux, à sentir leur qualité spécifique, leur souplesse, leur résistance, leur chaleur, leur humidité… bref à vivre en osmose avec chacun d’eux.

Ces activités les réjouissent, voire pour certains les enthousiasment. Elle les construit aussi, les structure, les incarne. Et quelle fierté brille dans leurs yeux quand ils ramènent à la maison l’objet qu’ils ont su créer de toute pièce avec leurs mains. Enfin, en 9° classe les élèves découvrent pour la première fois de leur scolarité le travail du métal. C’est un événement pour eux ! Pourquoi attendre cet âge pour aborder la dinanderie ? Parce que le cuivre et plus tard le fer, exigent, pour être travaillés, une technologie plus complexe, des outils également réclamant un savoir faire plus délicat, une observation des processus de fabrication plus rigoureuse et surtout l’indispensable éveil cognitif. L’apprentissage de la dinanderie, à l’instar de tous les métiers artisanaux, exige de la part de l’artisan outre des mains habiles, une pensée claire, logique, structurée et surtout anticipatrice. Dans tout atelier artisanal la pensée est maîtresse. Tout objet doit être préalablement conçu, imaginé, pensé, évalué avant d’être fabriqué. Exclure la pensée de ces processus serait folie.

Atelier dinanderie à l'école Steiner Waldorf

C’est la raison pour laquelle on introduit la dinanderie à l’adolescence seulement. A cet âge les élèves s’éveillent résolument aux réalités cognitives, à la logique, à l’intellect et au penser. Leur confrontation aux techniques qu’exige la dinanderie stimule, de par leur complexité, le pôle neuro-sensoriel de façon permanente. La pensée et le matériau sont mis en relation dans un va et vient stimulant et constructif. Les pensées non abouties, illogiques, provoquent immédiatement sur le plan concret des malformations parfois irrémédiables, une perte de temps, un coût non négligeable et parfois même une mise au rebut immédiate de l’objet en devenir.

À quinze ans, les élèves ont l’âge requis pour de tels apprentissages. Ils sont capables de se projeter dans l’avenir, d’imaginer un objet, d’en évaluer les difficultés, d’établir un planning, d’autonomiser leurs gestes, d’utiliser à bon escient les outils mis à̀ leur disposition d’une part, la volonté et la force requises pour mener à̀ bien le projet d’autre part, l’indispensable sensibilité artistique enfin pour que le beau puisse naître. Oui, l’idéal pédagogique duquel se réclame la pédagogie Steiner-Waldorf à savoir la culture, auprès des enfants, du beau, du vrai et du bien, trouve dans l’atelier de dinanderie un véritable écho. Véracité de l’expérience, beauté de l’objet, relation saine et respectueuse avec le matériau.

Guy Chaudon, professeur de classe à l’école Mathias Grünewald (68)