L’anthroposophie et l’école Waldorf

Quel est l’apport de l’anthroposophie à la pédagogie ?

L’objectif de la pédagogie Steiner-Waldorf est de permettre à chaque enfant de devenir autonome et de trouver le chemin qui lui convient. Expérience de soi et expérience du monde sont les deux piliers qui lui donnent la possibilité de découvrir sa créativité propre : ne pas adhérer à des idées ou à des normes « toutes faites », mais élaborer librement son propre rapport au monde. Pour mettre en oeuvre des pratiques pédagogiques cohérentes avec un tel objectif, la pédagogie Steiner-Waldorf s’inspire des recherches pédagogiques de l’anthroposophie.


Qu’est-ce que l’anthroposophie ?

L’anthroposophie est une démarche de connaissance qui vise à explorer la dimension spirituelle de l’existence à travers une méthode rigoureuse, intérieure et empiriqueIssue de la tradition philosophique européenne, en particulier de la Naturphilosophie allemande et de l’héritage des Lumières, elle s’est consolidée au début du 20e siècle grâce au travail de Rudolf Steiner et de ses collaborateurs, et propose une « science de l’esprit » conciliant pensée libre, observation du monde sensible et expérience intérieure. Loin d’être une doctrine figée, l’anthroposophie propose une voie pour approfondir les grandes questions de l’existence dans une perspective de liberté individuelle et de responsabilité.

Présente à travers le monde, l’anthroposophie inspire un grand nombre d’initiatives concrètes dans la société, dans des domaines aussi variés que l’éducation, la santé, l’agriculture, la pédagogie spécialisée, les arts ou l’économie solidaire. Ce mouvement repose sur la conviction que l’être humain, en développant sa conscience et sa liberté intérieure, peut agir de manière responsable et créative dans le monde.

Que puise la pédagogie Steiner Waldorf dans l’anthroposophie ?

La démarche anthroposophique permet l’élaboration d’une anthropologie non réductionniste, qui ne limite pas l’être humain à un mécanisme biologique complexe, car cette conception réductionniste n’offre pas de place à l’idée d’individualité et de liberté. Contrairement à une conception matérialiste, l’anthropologie anthroposophique étudie comment la dimension corporelle et la dimension spirituelle (individualité et psychisme) se rencontrent et collaborent harmonieusement durant le développement naturel de l’enfant, et quelles sont les conditions favorables à cette rencontre.

La démarche anthroposophique permet l’élaboration d’une anthropologie non réductionniste, qui ne limite pas l’être humain à un mécanisme biologique complexe, car cette conception réductionniste n’offre pas de place à l’idée d’individualité et de liberté.

La pédagogie Waldorf est intégrative : elle tire parti de tous les champs de recherche anthropologiques et pédagogiques, comme les neurosciences, la psychologie etc. L’anthropologie anthroposophique est un domaine de recherche très vaste qui ne peut être détaillé ici. L’axe principal est constitué par la tripartition de l’être humain entre la pensée, le sentiment et la volonté, à travers les systèmes neuro-sensoriel, rythmique et métabolico-moteur. Elle permet de parvenir à une image globale et vivante de l’être humain qui ouvre des perspectives très fécondes en pédagogie. Pour illustrer concrètement de quelle façon la démarche anthroposophique peut féconder une pédagogie d’aujourd’hui et faire face aux défis du futur, on peut retenir quelques idées-clés.

1. Une approche globale de l’être humain

Un enseignement s’inspirant de l’anthroposophie implique d’envisager l’être humain comme un être complet. La pédagogie Waldorf reprend ici volontiers l’image du pédagogue suisse Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827): mains, cœur et tête, qui exprime les trois dimensions de la vie intérieure : pensée, sentiment, volonté. L’être humain apprend en faisant, en ressentant ce qu’il fait, et en comprenant ce qu’il ressent. Chaque enfant chemine à sa façon et à son rythme. La tâche de l’enseignant-éducateur est de l’accompagner dans son cheminement individuel en lui apportant de quoi former ces trois dimensions de sa personnalité. Même si chaque enfant est différent, certains étant plus volontaires, d’autres plus sensibles, d’autres plus intellectuels, il s’agit de ne pas dévaloriser les uns par rapports aux autres et d’offrir une éducation harmonieuse et globale. Cela permet à chacun d’être reconnu dans ses qualités et d’éviter que des tendances deviennent des déséquilibres. Le pédagogue va toujours prendre soin de nourrir toutes les dimensions de l’être humain.

2. Une pédagogie du « Je »

Dès son plus jeune âge, l’enfant est considéré comme un «Je» à part entière. La pédagogie Waldorf s’attache à respecter l’individualité de l’enfant, ce qu’elle apporte avec elle d’original et qui se déploiera dans une biographie unique et une signature toute personnelle. Elle veut éduquer les élèves pour qu’ils puissent s’épanouir tels qu’ils sont et non pas d’après ce que les adultes voudraient leur imposer. Il s’agit d’éveiller et de renforcer l’autonomie de l’enfant, dans sa volonté, sa vie affective et sa vie intellectuelle, et non de transmettre des normes et un « savoir qui descend d’en haut ».

La pédagogie Waldorf s’attache à respecter l’individualité de l’enfant, ce qu’elle apporte avec elle d’original et qui se déploiera dans une biographie unique et une signature toute personnelle.

L’activité de réflexion des élèves, leur processus individuel de compréhension, de créativité et d’engagement y sont encouragés de façon intensive. La pédagogie inspirée de l’anthroposophie est donc d’abord une « pédagogie du Je ». « Il n’existe pas d’autre éducation que l’auto-éducation » affirme Steiner. Or cette éducation du « Je » n’est souvent pas prise en compte à notre époque, où l’on considère généralement l’être humain dans un sens déterministe, plutôt que comme un être capable de liberté, qui se crée et se développe à partir de lui-même. Considérer que l’être humain est d’abord un «Je» sous-entend qu’il a besoin de «Tu» autour de lui pour s’épanouir, avec la confiance qu’il trouvera sa place dans l’espace social s’il parvient à être lui-même.

3. L’évolution de la conscience

La conscience de l’enfant n’est pas la même que celle de l’adulte. L’enfant est déjà une individualité originale et entière, mais sa conscience n’est pas encore de la même nature que celle de l’adulte. Le petit enfant vit encore dans une conscience de rêve qui demande à être nourrie d’images riches, évoluant avec son âge. Tout comme l’humanité a traversé toute une évolution menant d’une pensée mythique, imagée, rêvée, à une pensée formelle et rationnelle, l’enfant traverse lui aussi ces étapes, et le grand patrimoine des contes, comptines, légendes, mythes et récits que les diverses traditions nous ont légué constituent un matériau idéal pour l’accompagner dans son éveil progressif. Il s’agit de ne pas violenter la conscience de l’enfant en lui imposant trop tôt la conscience de l’adulte, mais de l’accompagner progressivement pour qu’il puisse aborder la rationalité avec d’autant plus d’intérêt et de passion lorsqu’il en aura la maturité. La société contemporaine a tendance à tirer prématurément l’enfant dans le monde et la conscience des adultes. Pour qu’ils puissent vraiment vivre leur enfance, les écoles Steiner-Waldorf se veulent être des espaces protégés qui leur permettent d’évoluer à leur rythme et progressivement.

4. L’humain, un être de volonté

L’enseignement est souvent considéré uniquement sous l’angle de l’acquisition de connaissances, mais l’être humain n’est pas seulement un être intellectuel. Une grande part de sa vie dépendra de ses forces de volonté. Plus l’être humain peut s’engager de manière productive dans la réalité pour la comprendre, plus il se confronte aux résultats de ses propres actes, plus il se réalise lui-même en tant qu’esprit autonome. Il doit pour cela rencontrer la réalité concrète du monde qui l’entoure de manière adaptée à son âge, tout en étant directe et sensible. Il peut ainsi se développer pour acquérir de plus en plus de liberté. L’augmentation de ses capacités se concrétise dans les résultats de ses actions quand il a la possibilité de rectifier ses erreurs. C’est ainsi qu’il développe son sens de la responsabilité. À l’école Waldorf, de nombreuses pratiques, activités manuelles, ateliers, jardinage, stages, etc. permettent aux enfants de se confronter à la réalité par l’action, maturant ainsi leurs forces de volonté. La scolarité Waldorf s’achève par les « chefs d’oeuvres » : la réalisation d’un projet individuel durant un an, au cours duquel l’élève pourra faire converger sa créativité, sa sensibilité et sa capacité d’entreprendre.

5. L’art, un espace de créativité

La personnalité humaine peut se développer grâce à un jeu constant entre connaître et agir. Le processus artistique réalise parfaitement ce va-et-vient entre l’extérieur et l’intérieur, c’est pourquoi la pédagogie Steiner-Waldorf lui accorde une place centrale. L’art y est omniprésent sous les formes les plus variées. À travers la musique, la peinture, la sculpture, le théâtre, le mouvement, l’enfant apprend à jouer avec le monde tout en le ressentant. D’une part, l’art permet une grande liberté d’expression personnelle et de créativité, mais il est aussi un espace d’éducation esthétique, de formation de la sensibilité.

La personnalité humaine peut se développer grâce à un jeu constant entre connaître et agir. Le processus artistique réalise parfaitement ce va-et-vient entre l’extérieur et l’intérieur, c’est pourquoi la pédagogie Steiner-Waldorf lui accorde une place centrale.

Dans la pratique artistique, l’enfant apprend à devenir un créateur sensible de sa propre vie, à agir en connaissance de cause, de manière flexible et adaptative. L’art offre un espace de jeu, au sens « sérieux », et met en oeuvre la maxime formulée par Schiller dans ses « Lettres sur l’éducation esthétique » : « L’être humain ne joue que là où il est humain au plein sens du terme, et il n’est pleinement humain que là où il joue. »

L’anthroposophie n’est pas enseignée à l’école Steiner Waldorf

Dans les écoles conventionnelles, ni les sciences de l’éducation, ni les sciences cognitives ne sont enseignées. De même, l’anthroposophie n’est pas enseignée aux enfants : cela contreviendrait aux objectifs et fondements de cette pédagogie. Ce principe fut clairement formulé par Rudolf Steiner dès la fondation de la première école Waldorf en 1929 à Stuttgart : « Nous ne créerons pas ici, à l’école Waldorf, une institution où sera enseignée une certaine conception du monde. […] L’anthroposophie n’est pas un objet d’enseignement. » Il a par ailleurs rendu attentif aux effets néfastes qui pourraient survenir pour les enfants si ce principe n’était pas respecté. La Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf en France condamne donc fermement tout manquement à ce principe fondamental.

Des études universitaires indépendantes réalisées ces dernières années auprès d’un grand nombre d’élèves des établissements Steiner-Waldorf ont par ailleurs démontré que les écoles Steiner-Waldorf ne sont pas des vecteurs de diffusion de l’anthroposophie. Cela se constate au fait que la grande majorité des élèves n’a quasi aucune connaissance au sujet de l’anthroposophie et ne s’engage pas dans un domaine professionnel lié à l’anthroposophie.

Les pédagogues sont-ils anthroposophes ?

L’anthroposophie ne consiste pas en une conception du monde en laquelle il faudrait adhérer : elle constitue un champ de recherche et de réflexion, un espace de dialogue dans lequel chacun, quelles que soient les convictions personnelles, peut interagir et collaborer. Il n’est donc en aucun cas nécessaire d’être « anthroposophe » pour travailler dans un établissement Waldorf. Chacun est libre de se situer comme il l’entend et cette étiquette est en fait vide de sens. Le bon pédagogue n’est pas forcément celui qui se dit anthroposophe. La mobilité intellectuelle est nécessaire face à la richesse de la vie et la liberté individuelle reste le socle sur lequel s’appuie fermement la vie des écoles.