Apprentissage de la forge
Pour se forger une personnalité !
Cling, clang, cling, clang, cling, clang…. quand ce bruit rythmé et sonore retentit au fin fond du parc de l’école, aussitôt des cris d’enfants se joignent à lui dans une belle cacophonie et toute une foule de petits curieux s’amoncelle près du grillage protecteur qui entoure l’atelier forge. Là, les yeux émerveillés, les oreilles assourdies, ils observent, bouche bée, les grands élèves de la 10e classe (16 ans environ) œuvrer autour de grands feux aux noires et nauséabondes fumées.
Dans une demi-obscurité rougeoyante, les marteaux frappent, les enclumes résonnent, les scies à métaux crissent, les soufflets ronflent, les fers rougissent… que d’activités diverses, que de volonté déployée… Construite à l’entrée d’un ancien souterrain, la forge de l’école Steiner-Waldorf Mathias Grünewald se cache aux regards. Seule la haute cheminée aux noirs veloutés la signale aux visiteurs. L’apprentissage de la forge fait suite à celui de la dinanderie découvert par les mêmes élèves une année plus tôt en 9e classe. Il propose aux adolescents le façonnage d’un matériau ô combien plus dur et plus dense que le cuivre : celui du fer.
Le fer est un métal si dur, si dense, si rigide qu’il est impossible de le travailler à froid. Ce n’est que chauffé à haute température qu’il accepte d’être façonné, plié, courbé. Mais attention, pas à n’importe quelle température. Ce n’est qu’à partir de 700° C, lorsque sa couleur grise se colore vers le rouge sombre, que sa rigidité naturelle s’estompe quelque peu. A 850°C il devient rouge vif puis orangé à partir de 1000°C. Il est alors bien mûr pour être forgé. A 1300°C il est blanc et extrêmement docile à toute torsion ou manipulation. Attention, cette température comporte un danger car elle s’approche du point où le fer explose tel un feu d’artifice, brûle, se racornit puis se liquéfie.
Un apprentissage jalonné d’échecs… et d’émerveillements !
L’art du forgeron consiste donc à maîtriser simultanément la montée en température du métal en agissant sur le soufflet, la puissance de frappe du marteau, le positionnement de la pièce métallique rougie sur l’enclume, le bon geste enfin pour lui donner la forme désirée. Tout cela implique anticipation, éveil, réactivité, agilité et puissance… Eh oui, n’est pas forgeron qui veut. La simultanéité de tous ces gestes exige un apprentissage long et patient. Un apprentissage jalonné d’échecs, de découragements, de brûlures, d’ampoules douloureuses aux mains, mais aussi d’émerveillement devant le métal rougeoyant qui, sous les coups de marteau, se soumet sans résistance aux volontés de l’artisan.
L’apprentissage proposé aux élèves consiste à leur apprendre les gestes primordiaux qu’il requiert pour forger des outils simples mais utiles. A savoir la densification, l’étirement, l’évasement, l’allongement et enfin la mise en torsade par rotation de l’objet. La maîtrise de ces techniques autorise le façonnage d’un tisonnier, puis d’une balayette, d’une pelle à braise et enfin d’une pince à bûches. La forge de ces outils aux manches rigoureusement semblables permet aux élèves de revivre plusieurs fois de suite les mêmes exercices et par là, d’améliorer leur savoir-faire, voire même de les aboutir pour certains d’entre eux. Ils sont alors fiers d’aligner devant eux une série d’outils aux manches rigoureusement identiques. Le fer est partout présent dans notre société moderne. Outre les serrures, les balcons, les gonds ou les grilles forgées de nos maisons, on le voit dans les automobiles, les trains, les navires, les ascenseurs… il est omniprésent, omni-utile, omni-indispensable. Sans lui, le confort qu’offre la technologie moderne serait impensable.
Une expérience hautement pédagogique
Permettre aux élèves, aux filles comme aux garçons, de saisir par l’expérience sensible ce matériau, de vivre sa résistance, sa force mais aussi sa fragilité, de le forger selon une forme préétablie, fonctionnelle, c’est-à-dire qui a du sens, nous semble une expérience hautement pédagogique. L’élève comprend alors mieux le monde technique dans lequel il est appelé à vivre au quotidien. Il peut le ressentir de l’intérieur. Il ne restera plus indifférent devant une pièce métallique. Inconsciemment, il en mesurera l’équilibre des formes, la tension des gestes, la robustesse et surtout : l’adresse de l’artisan qui l’a forgée.