Une école Steiner Waldorf dans le désert du Rajasthan

Une scolarité au lieu d’un mariage forcé

Depuis 2016, l’école Steiner Waldorf Darbari offre un parcours scolaire à une quarantaine d’élèves âgés de 5 à 17 ans qui se répartissent dans quatre classes à niveaux multiples. Le professeur fondateur de l’école, Jacques Monteaux, a travaillé auparavant pendant 40 ans dans la pédagogie Steiner Waldorf en France. Il est interviewé par Jean-Pierre Ablard.


Jacques, quel est ton parcours ?

En 2013, grâce entre autres au soutien de Freunde der Erziehungskunst, je me suis lancé dans un projet qui me tenait à cœur depuis très longtemps : permettre aux enfants issus d’une des populations les plus pauvres et méprisées de l’Inde, celle des Dalits ou Intouchables, de bénéficier de la pédagogie Steiner-Waldorf. Une de mes anciennes élèves vivait sur place et avait préparé le terrain…

Quelles sont les conditions de travail ?

Ce projet s’est enraciné dans le désert du Thar, au Rajasthan. L’environnement est dur. Le désert du Thar s’étend sur 200 000 km2 dans le Rajasthan et le Pakistan voisin. C’est un désert de pierres à la végétation très clairsemée et à la chaleur intense. Entre mai et juillet, le thermomètre monte à plus de 50 degrés ! Cet environnement minéral, brûlant et dénué de douceur, auquel s’ajoute la pauvreté, contribue au caractère rude des Bhils, notre public. Cette ancienne tribu aujourd’hui sédentarisée garde un lien archaïque avec la spiritualité, une religiosité simple bien éloignée de la complexité de l’hindouisme. Cependant, la croyance fataliste en une loi karmique, le mépris des castes supérieures au nom de l’hindouisme et la misère génèrent une attitude de résignation.

Dignité et liberté

pédagogie Steiner Waldorf au Rajasthan
une stagiaire donne un cours de français

Avec quelles conséquences pour les enfants ?

Cette région reculée a un taux d’analphabétisme de 70 %. Les enfants sont peu scolarisés : 5 % d’entre eux parviennent au bout de leur scolarité. Pour les filles, l’école est la seule alternative au mariage arrangé dès l’âge de 13 ans.

Quel est le projet de l’école ?

Son objectif s’inscrit dans une dynamique qui cherche à rendre sa dignité à cette population et à l’accompagner vers la liberté.

Des succès ?

Certains parents commencent à résister aux pressions de leur famille et aux traditions pour permettre aux jeunes filles de bénéficier d’une scolarité complète sans devoir se marier ! Les enfants aiment l’école. Les autorités locales et nationales le reconnaissent : j’ai reçu en 2019 le prix de la meilleure initiative pédagogique en milieu rural. Je vis sur place huit mois par an et donne une formation pédagogique à quatre jeunes professeurs indiens. Notre équipe est soutenue par de jeunes volontaires allemands et français qui participent aux cours de langue. Cette diversité nous amène à pratiquer plusieurs langues, le marwari (dialecte local), l’hindi, l’anglais et le français. Je pense que nous avons une bonne étoile !

Vous avez certainement connu des échecs ?

Nous n’avons pu éviter que deux adolescentes se marient et soient définitivement privées de scolarité. Il faudra du temps pour que changent ces pratiques ancestrales. Ces échecs nous apprennent l’humilité et la persévérance.

la pédagogie Steiner Waldorf au Rajasthan
L’équipe pédagogique fête le départ de 4 élèves de 17 ans. Jacques Monteaux est le 2e à droite.

Développement individuel

La pandémie a-t-elle atteint le désert du Thar ?

Elle a touché toute l’Inde de façon exponentielle depuis le printemps dernier. Les écoles sont fermées depuis le mois de mars 2020, une situation catastrophique pour les enfants des familles pauvres et peu éduquées. La pandémie provoque un retour en arrière vers les anciennes habitudes : bien que la loi l’interdise, beaucoup de familles envoient les enfants travailler. On note en outre une augmentation des mariages d’enfants, surtout dans les zones rurales et pauvres.

L’Occident n’aurait-il pas une sorte de dette envers l’Inde ?

L’Inde est l’une des plus anciennes civilisations de l’humanité. Elle a toujours été pour l’Occident une grande source d’inspiration spirituelle, en réponse à une aspiration de l’âme humaine. Ainsi avons-nous adopté le yoga, la méditation, l’Ayurvéda, etc. Or l’Inde moderne a pris un autre chemin. Le rationalisme et le matérialisme y sont de plus en plus importants et relèguent souvent la religiosité à des formes purement traditionalistes davantage subies que consciemment vécues.

Que peut apporter la pédagogie Steiner Waldorf à l’Inde d’aujourd’hui ?

L’intérêt et l’ouverture de certains milieux indiens pour l’anthroposophie et pour cette pédagogie tiennent au fait que cette démarche propose de relier conscience individuelle, liberté et spiritualité. Dans une société très traditionaliste régie par un système de castes, cette évolution est essentielle. Nous devons à l’Inde actuelle de contribuer, en puisant à la source de la nature humaine anthroposophique, au développement de l’individu en tant qu’être unique, quels que soient sa caste, son genre, son statut social ou religieux !


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A little Oasis – le film sur l’école Steiner Waldorf Darbari