La laïcité n’exclut pas la spiritualité…

La dimension spirituelle de la laïcité, évoquée par Abdennour Bidar, est cultivée dans les écoles Waldorf

L’approche de la laïcité, telle qu’elle est adoptée dans les écoles Waldorf, rejoint la définition qu’en donne le philosophe Abdennour Bidar, dans une Tribune partagée par le journal Le Monde du 27 décembre 2022, intitulée « Il serait temps de prendre conscience de la dimension spirituelle de la laïcité ».


Dans une tribune publiée dans Le Monde [1] le philosophe Abdennour Bidar revient sur le principe de laïcité, et en particulier sur sa dimension spirituelle, souvent oubliée par bien des défenseurs de la loi de 1905 instituant la séparation des églises et de l’État.

Le philosophe revient en détails sur les deux premiers articles de cette loi :

Article 1er : « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public ».
Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».[2]

Il note que l’on n’a souvent vu dans cette loi, et dans la laïcité en général, qu’un outil politique chargé de limiter l’influence publique de la religion. Cette compréhension est tout à fait conforme à la réalité, mais elle a par la même occasion occulté la dimension spirituelle de cette loi, qui en garantissant « le libre exercice des cultes » favorise de ce fait une liberté reconnue à la vie spirituelle personnelle 

Loin d’annihiler l’aspect spirituel de la vie des hommes, cette loi leur garantit donc une vie spirituelle libre, une liberté qui permet à cette spiritualité de s’exprimer « dans un culte religieux ou pas ». 

Abdennour Bidar y voit là un paradoxe à la fois « vertigineux » et génial, au sens où cette loi a « opéré simultanément une ‘’déliaison’’ du religieux et du politique, en ôtant aux religions tout pouvoir dans la cité, et une ‘’liaison’’ inédite du spirituel et du politique, en faisant de la liberté spirituelle de conscience et d’expression un droit politique. » Il en conclut que « la France a porté bien plus loin que partout ailleurs le projet démocratique, parce qu’elle a fait de l’avènement de la démocratie un événement spirituel, l’inauguration historique de ce qu’on peut appeler une « démocratie spirituelle » … Démocratie spirituelle, citoyenneté spirituelle, autonomie spirituelle, voilà en réalité ce que nous devons à la laïcité. » 

« Il serait temps de prendre conscience de cette dimension spirituelle de la laïcité, elle qui est, hélas, si souvent décrite comme antispirituelle. » 

La République des consciences spirituelles libres 

Pour Abdennour Bidar, la sécularisation instituée par cette loi ne doit donc pas se comprendre comme « fin de la promesse métaphysique et de la transcendance » car cette loi permet au contraire toute forme de transcendance :

« la transcendance athée de la lutte vers les sommets qui suffit à remplir un cœur d’homme » selon la formule de Camus,  « la transcendance religieuse du fidèle de telle ou telle confession,  la transcendance zététique de l’agnostique face aux deux hypothèses de l’existence ou inexistence de Dieu. » 

 Et il conclut en posant cette question : « quoi de plus disruptif que la révélation de ce potentiel spirituel pour nos démocraties libérales effondrées dans leur matérialisme ? » 

Vers une autonomie spirituelle à travers la pédagogie Steiner-Waldorf

La pédagogie Steiner-Waldorf qui prend très au sérieux la vie spirituelle tout en la cultivant de façon laïque – ni confessionnelle, ni religieuse rejoint tout à fait cette compréhension de la laïcité. Dans les écoles Waldorf, cette vie spirituelle commence avec l’éveil chez les enfants de qualités essentielles, comme l’émerveillement, l’ouverture d’esprit, le respect et l’empathie vis-à-vis du monde, de la nature et des autres.

En développant chez les enfants une culture du beau, un goût pour la nature et ses dons, une ouverture aux différents mythes et cultures du patrimoine de l’humanité à travers, entre autres, la célébration des fêtes tirées du patrimoine culturel, en faisant découvrir aux enfants au fur et à mesure de leur développement différentes traditions philosophiques et religieuses, la pédagogie Steiner-Waldorf permet l’éclosion d’une pensée individuelle spirituelle et philosophique. Elle encourage les jeunes à se poser des questions essentielles telles « Quels sont les idéaux et valeurs morales que je reconnais moi-même comme justes ? » « Comment puis-je me hisser à leur hauteur pour vivre en cohérence avec moi-même ? » et elle leur donne les outils pour tenter d’y répondre.

Donner sens par soi-même à sa propre vie et au monde

Afin d’aboutir à la plus haute des facultés humaines – donner sens par soi-même à sa propre vie et au monde, il ne faut pas occulter au sein de nos écoles toute référence à la notion de transcendance ou de spiritualité. On ne tomberait alors que dans un matérialisme désespérant et destructeur, sans comprendre ce qui fait la radicalité d’une laïcité bien comprise.

La pédagogie Steiner-Waldorf met tout en œuvre pour laisser aux enfants qu’elle accompagne le choix de la transcendance qui leur convient – athée, religieuse ou zététique. Ce faisant, elle les aide dans le développement de leur spiritualité, et leur octroie la liberté de conscience que leur garantit la loi qui a posé les bases de la laïcité.

C’est de cette manière que la pédagogie Steiner-Waldorf participe à l’avènement de cette « République des consciences spirituelles libres » rendue possible par la loi …

 

[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/27/abdennour-bidar-il-serait-temps-de-prendre-conscience-de-la-dimension-spirituelle-de-la-laicite_6155815_3232.html

[2] https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-dossiers/2017-Dossiers/La-laicite/Les-principaux-textes-francais