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Eduquer à l’esprit critique

Une compétence indispensable à l’ère du “fact-checking”

Quel parent ne s’inquiète du développement de l’esprit critique de son enfant ? Ne se demande que faire pour encourager cet esprit critique ? Ne cherche la méthode pédagogique infaillible, celle qui fera de son petit et/ou de son adolescent, un citoyen averti ?


Esprit critique ou pensée critique ?

Les deux formulations pourraient sembler équivalentes. Mais des théoriciens établissent une subtile différence entre elles. Dans un rapport publié en 2015 par l’UNESCO, Cynthia Luna Scott, son auteure, utilise l’expression « pensée critique. » Ce rapport a pour titre : Les apprentissages de demain : Quel type d’apprentissage pour le XXIe siècle ?

Cynthia Luna Scott y définit la pensée critique ainsi : « La pensée critique consiste à obtenir, à analyser et à synthétiser l’information, et elle peut être enseignée, pratiquée et maîtrisée (P21, 2007a; Redeckeretal, 2011). Elle s’appuie également sur d’autres compétences telles que la communication, la maîtrise de l’information et la capacité d’examiner, d’analyser, d’interpréter et d’évaluer les faits. »

 

Par ailleurs, Cynthia Luna Scott inclut cette compétence au sein d’un ensemble plus vaste, qui repose sur “les quatre piliers de l’éducation” énoncés dans le Rapport Delors.

Ces quatre piliers consistent à :

« apprendre à connaître ; apprendre à faire ; apprendre à être ; apprendre à vivre ensemble. »

La pensée critique relève du pilier  “Apprendre à faire”, qui comprend également les compétences suivantes : “Résolution de problèmes, communication et collaboration, créativité et innovation, information, médias et maîtrise de la technologie. maîtrise des technologies de l’information et de la communication (TIC).”

Selon Cynthia Luna Scott, la maîtrise de l’ensemble de ces compétences, qualifiées de “compétences de survie” est primordiale. “Préparer les étudiants au travail, à la citoyenneté et à la vie au XXIe siècle constitue un défi de taille. La mondialisation, les nouvelles technologies, les migrations, la concurrence internationale, l’évolution des marchés ainsi que les défis environnementaux et politiques transnationaux sont autant de facteurs qui appellent à acquérir les compétences et le savoir dont les étudiants auront besoin pour survivre et réussir au XXIe siècle.”

Même si nous sommes nombreux à posséder des capacités d’analyse, il peut sembler opportun de se former à la pensée critique.

Mais alors, comment enseigner l’esprit et/ou la pensée critique ?

Former les enfants à l’esprit critique

L’écrivaine Doris Lessing, rapportait dans ses écrits, qu’à l’école élémentaire, il était demandé aux élèves de confronter des articles émanant de différents journaux mais relatant un même fait. Sans surprise, la narration de ces mêmes évènements variait d’un organe de presse à un autre.

Aujourd’hui, selon les options pédagogiques des établissements scolaires ou des familles s’instruisant hors écoles, les méthodes diffèrent. La pluralité de ces approches constitue un objet de recherche stimulant, qui ne peut qu’enrichir l’enseignement public uniformisé. Si tant est que l’existence, pourtant légale en France, de ces modes d’instruction, soit encore respectée.

 Voyons donc ce qui ressort de l’enseignement de l’esprit critique et/ou de la pensée critique. Sur quoi repose cet enseignement ? Quel en est son but ? Comment est-il mis en place ? À destination de quels élèves ?

Eduquer les enfants à la pensée critique en école Waldorf

Le chercheur Iddo Oberski, de l’université de Stirling a consacré plusieurs de ses travaux aux écoles Waldorf. Dans l’un de ses articles, “Learning to think in Steiner-Waldorf schools”, il a rendu compte de son observation de l’enseignement de la pensée critique dans ce type d’établissement scolaire.

Dès son introduction, il écrit que l’un des principaux objets de l’éducation est d’apprendre aux élèves à penser. Dans la pédagogie Steiner-Waldorf, les élèves sont préparés à devenir des individus libres. Et d’ailleurs, en Allemagne, ces écoles sont appelées des “Freie Schulen, des écoles libres”. Mais, précise-t-il encore, il s’agit d’une liberté d’esprit.

Comme il le détaille, l’enseignement de la pensée critique repose sur une base solide, élaborée par Rudolf Steiner d’après ses conclusions sur les phases de développement de l’enfant. Durant chaque phase de sept ans, un aspect du développement est privilégié, sans pour autant négliger les autres aspects. Ainsi, durant la première septaine, l’enfant axe tous ses efforts sur sa volonté de maîtriser son corps physique. Il apprend à marcher, à parler…

Durant la septaine suivante, après la volonté, c’est le sentiment qui s’exprime davantage. L’enfant éprouve des sentiments forts face à la nature, aux contes, aux mythes… Les thèmes d’enseignement sont donc orientés de manière à aider l’enfant à construire solidement ce socle.

A partir de 7 ans, l’imaginaire des enfants est cultivé à travers les récits de fin de cours, et le soin apporté aux images qui sont proposées aux enfants

Lorsque survient la septaine suivante, celle qui correspond à la période de l’adolescence, la pensée est prête à s’exprimer. Elle a été préalablement nourrie par un enseignement adapté à chaque phase de développement et les adolescents sont alors prêts à émettre un jugement personnel, fondé et construit.

Dans cet article, Oberski cite son collègue, le chercheur Eisner, qui déplore ce qu’il appelle la pauvreté des programmes éducatifs, “qui laissent en jachère des champs dans lesquels des aptitudes pourraient être cultivées.” Face à cette pauvreté éducative, il mentionne les écoles Waldorf, qu’il connaît bien. Rappelle le rôle de l’apprentissage multi-sensoriel qui, entre autres, permet la mise en place d’un programme éducatif équilibré, lequel, non seulement favorise la réussite scolaire conventionnelle, mais met également l’accent sur le développement de l’imagination et le raffinement de la sensibilité; écrit-il.

multisensorie
Le développement de l’imagination et le raffinement de la sensibilité serait un facteur bénéfique à l’émergence de la pensée critique

 

Ce bagage, solide et diversifié, contribue à la construction éthique des enfants et des adolescents, les aidant à devenir des adultes accomplis, dont l’esprit critique est apte à s’exercer en toutes circonstances.

L’esprit critique, ou la pensée critique, ne doit-il être enseigné qu’à des enfants ? Quid des adultes ? Ce point aussi fait l’objet de travaux de recherche de par le monde sous de multiples déclinaisons.

Eduquer des adultes à l’esprit et/ou la pensée critique ?

Comme l’écrit Cynthia Luna Scott dans son rapport pour l’UNESCO, cet enseignement doit s’exercer tout au long de la vie. Les adultes peuvent donc, tout naturellement, continuer à se former.

Mais où et comment ? Des formations à l’esprit critique sont dispensées ici et là.  Avant de s’y inscrire, il est opportun, de faire œuvre… d’esprit critique ! Sur quels crtières choisir une telle formation ? Des critères pécuniaires? Cette formation est-elle éligible au CPF – Congé Personnel de Formation – ? Qui la dispense ? Il est judicieux de garder en tête que titres ronflants, appartenance à divers organismes ne sont pas toujours gages de sérieux. Où cette formation est-elle dispensée ? En ligne ou dans un lieu prestigieux? Celui-ci n’en garantit pas non plus le sérieux. Il peut n’être que le reflet d’un bon carnet d’adresses. Son coût ? Un montant exorbitant doit vous inciter à la prudence tout autant qu’une gratuité revendiquée Dans ce dernier cas, rappelez-vous d’un adage connu de tous les entrepreneurs « Si c’est gratuit, alors, c’est toi le produit. » Quel est le contenu de cette formation ? Présenté publiquement, du moins dans ses grandes lignes, ou tenu secret ? Allez-vous réellement apprendre quelque chose ? Allez-vous devenir incollable sur l’aliénation,  l’argumentation, le biais cognitif, la censure, la crédulité face aux sources d’information, la défense de vos idées, le dialogue, ou son absence, le dogmatisme, l’identification de fausses informations, la liberté d’expression, la mésinformation, le monopole cognifif, le poids de la pensée scientifique, la radicalisation, les raisons pour lesquelles nous croyons, ou pas, une information, les théories du complot, la visibilité des opinions… et autres thématiques  ? Ou un gourou, bien sous tout rapport, va-t-il vous farcir la tête de ses théories ? Le risque est réel, la prudence est donc à privilégier.

Au final, à chacun de décider d’user ou non son esprit critique, de se former ou pas, dans ce domaine. Cependant, gardons en tête que nous sommes tous des émetteurs d’information et qu’à ce titre, notre première responsabilité est de diffuser de l’information véridique et fiable. Il est parfaitement inutile, et même toxique, de contribuer à la diffusion d’informations fausses, diffamatoires et nuisibles. Il n’est guère plus glorieux de se contenter de “prêt à penser”, d’abandonner son cerveau à qui veut le remplir, sans faire preuve de la moindre vigilance. User de son esprit critique est une nécessité, et ce, à tous les âges de la vie.

 

Bernadette Nozarian