

Imagination et créativité en classe
L’apport de la pédagogie Steiner-Waldorf dans les écoles publiques
Dans de multiples travaux de recherche, des universitaires rendent compte de l’importance de l’imagination et de la créativité dans l’éducation. Tout autant dans l’enseignement que dans l’apprentissage.
L’imagination s’enseigne-t-elle ? Comment ? Pour quels effets ? Quel rôle jouent la créativité et l’imagination des enseignants ? En quoi la pédagogie Steiner-Waldorf, qui accorde une grande importance à ces capacités, peut-elle inspirer l’enseignement public ?
Tentons de répondre à ces questions, à travers quatre études riches d’enseignements.
Apprendre l’imagination à travers la littérature
Tel est le titre d’une étude de Marwa Sami Hussein de l’université de Tikrit en Irak. Son article débute par une citation d’Albert Einstein, qui revendiquait la primauté de l’imagination sur l’intelligence. Selon lui, en effet, l’imagination n’est pas limitée par les frontières de nos connaissances et de notre compréhension, mais embrasse le monde entier, contribue au progrès et à l’évolution.
L’enseignement de la littérature, explique Marwa Sami Hussein, constitue un moyen de stimuler l’imagination, en abordant l’étude de l’art, l’expression des sentiments, le plaisir de lire, l’enrichissement du vocabulaire, le partage d’idées et la capacité à analyser et à penser.
L’imagination va de pair avec la créativité, estime-t-elle, et le monde serait morose sans imagination. De fait, ajoute-t-elle, tout ce que l’être humain a produit, a d’abord été imaginé.
L’imagination ne se limite pas à la littérature et aux arts mais prélude aussi à des découvertes scientifiques majeures, rappelle cette chercheuse.
Le lien entre l’imagination et la science
De la littérature aux sciences dures, le pas est franchi. Grâce à l’imagination. Ainsi, lors de leur communication The role of imagination in science and science teaching, Julia Zdunek et Jörg Zabel, de l’université de Leipzig, en Allemagne, ont mis en évidence l’importance du lien entre l’imagination et la science. Ils expliquent donc que la recherche scientifique elle-même est de l’imagination. Que l’imagination et la créativité représentent des compétences nécessaires dans le domaine de la recherche scientifique, car grâce à ces compétences, les chercheurs génèrent des hypothèses, développent des modèles et évaluent des résultats. Ces deux chercheurs notent néanmoins, une attitude curieuse, mise en évidence par des travaux de recherche : les scientifiques expérimentés apprécient la créativité et l’imagination, alors que les chercheurs plus jeunes tentent de l’éviter et de l’exclure.
Pour donner droit de cité à l’imagination, faut-il l’enseigner ? Et dans l’affirmative, comment doivent être formés les professeurs chargés de cet enseignement ?
Former les enseignants à l’imagination et à la créativité ?
Ils rappellent que l’imagination constitue un pouvoir intrinsèque de l’être humain, qu’elle permet de transformer la « réalité » en diverses possibilités, des « choses qui n’existent pas » en « choses qui existent ». Ils évoquent Eisner, selon qui l’imagination est un moteur du développement de l’éducation et une compétence clé pour les professeurs.
L’imagination, écrivent ces chercheurs, en s’appuyant sur de multiples travaux, offre une réalité alternative qui permet à chacun de sortir de sa zone de confort. Elle constitue une capacité mentale qui transcende les limitations spatio-temporelles et intègre des processus mentaux de perception, de visualisation, de transformation, de réorganisation et d’innovation. Les effets qu’elle produit se retrouvent dans la vie personnelle, le travail et l’avenir des individus.
Un enseignement créatif pourrait-il favoriser de telles dispositions ?
Définir l’enseignement créatif
Demandons-nous d’abord, ce qu’est un enseignement créatif ? Selon le ERIC Thesaurus (Educational Resources Information Center, données de 2017), il s’agit du développement et de l’utilisation de méthodes d’enseignement nouvelles, originales et inventives. Différents chercheurs ont approfondi les effets de ce mode d’enseignement, parmi lesquels Kanter. Dans son livre, Teacher Skill and Strategies (Woods : 1990) il insiste sur le caractère disruptif de cette pratique, qui interpelle le status quo éducatif habituel.
Les effets de l’enseignement créatif sur les élèves
Pour le chercheur Kieran Egan, la pratique majoritairement en vigueur, est basée sur l’idée que le processus d’apprentissage des enfants va du concret vers l’abstrait, du connu vers l’inconnu et de la manipulation active à la conceptualisation symbolique. Kieran Egan considère que cette représentation sous-estime les capacités des enfants. Dans son travail, il s’attache à développer des modèles d’enseignement et d’apprentissage fondés sur les capacités humaines, notamment l’imagination enfantine, qu’il voit comme un puissant outil d’apprentissage. Il compare l’enfant à un penseur mathématico-logique, à un créateur d’images mentales n’ayant encore jamais été expérimentées.
Les observations réalisées dans des situations d’enseignement créatif montrent que la motivation des élèves s’accroît et que leurs résultats scolaires s’améliorent. Leur créativité personnelle augmente, car inspirée par celle de leurs enseignants. Il s’avère donc primordial pour ces enseignants de bénéficier du soutien inconditionnel de leur direction.
La pédagogie Steiner-Waldorf partagée dans des écoles publiques au Kenya
En 2012, une expérience a commencé au Kenya dans quatre écoles élémentaires, dans le but d’y introduire l’imagination selon l’approche Waldorf.
Dans ce pays, le modèle de la scolarisation est ainsi découpé : huit années d’école élémentaire, quatre années d’école secondaire et quatre années d’université, soit le système 8-4-4. Certaines de ces écoles étaient situées en zone urbaine, d’autres, en zone rurale. La langue d’enseignement est l’anglais, qui, pour certains enfants, constitue leur seconde ou troisième langue, après la langue de leur ethnie, si elle diffère du swahili, la langue officielle. Le programme scolaire en vigueur dans ces établissements est très classique.
Une expérience avec l’école Waldorf de Nairobi

Un partenariat a été conclu avec l’école Waldorf de Nairobi, pour apprendre les uns des autres et s’inspirer de la pédagogie Steiner-Waldorf.tout en mettant également l’accent sur les modèles développés par Kieran Egan sur le rôle de l’imagination dans l’éducation et la réflexion de Paolo Freire sur la construction de l’éducation en tant que pratique de la liberté. Pour ce pédagogue brésilien, cité dans cette étude, l’éducation à la résolution de problèmes permet de développer la conscience et des compétences critiques.
Ce partenariat a débuté par des visites informelles d’enseignants des établissements publics au jardin d’enfant Waldorf. Ces visites ont eu bien davantage d’effets qu’une multitude de livres et de discussions. Car les enseignants ont alors découvert un tout autre paradigme éducatif que celui auquel ils étaient habitués. Ils ont exprimé leur surprise devant les conditions matérielles différentes de ce qu’ils connaissaient, devant le temps que les enfants passent à jouer, à écouter des histoires, à dessiner et à peindre, se demandant, quand passent-ils du temps à apprendre ? Ces visites ont été suivies de discussions, pendant l’heure du déjeuner, entre les enseignants des divers établissements et l’équipe de l’association ECD, organisatrice de cette expérience. Les enseignants des écoles publiques ont réfléchi à comment adapter les pratiques de l’école Waldorf dans leurs classes. De même, les enseignants de l’école Waldorf sont venus visiter les écoles publiques, ce qui a grandement contribué à faciliter le dialogue entre toutes les personnes partie prenante de cette expérience et à co-construire l’intégration de l’approche Waldorf dans les écoles publiques. Dans le cadre de cette expérience, des ateliers ont eu lieu le samedi, rassemblant tous les professeurs. Ils avaient pour thème : le développement du langage à travers les histoires et les poèmes, la fabrication de poupées, le dessin…
Résultats de cette expérience
La pratique pédagogique des enseignants des écoles publiques s’est modifiée petit à petit.
Ils ont découvert «le rôle du corps, de l’imagination et de l’émotion dans la construction et la représentation de la connaissance».
L’une des enseignantes a souhaité que « les parents soient sensibilisés à cette approche. » Bien évidemment, un changement s’est opéré dans les relations entre les professeurs et les élèves. Les enfants ont gagné davantage de liberté et de temps passé dehors. Des enseignants ont modifié l’agencement des salles de cours, des moments passés à raconter des histoires, y compris en swahili, sont apparus. Le fait d’utiliser cette langue permet aux enfants d’exprimer leur imagination et leurs émotions, ce qui est plus difficile dans une langue moins familière. Lorsque l’histoire était bien connue des enfants, elle pouvait être racontée en anglais. Cette expérience fut aussi l’occasion, pour certains enseignants, de s’interroger sur leur pratique, d’exprimer leur besoin de mieux connaître les stades de développement des enfants et de fabriquer, désormais, leur propre matériel pédagogique.
Les suites d’une collaboration pédagogie Steiner-Waldorf – écoles publiques
Pour autant, ces quatre écoles publiques ne sont pas devenues des écoles Waldorf. Le défi était d’y amener l’approche Waldorf de l’imagination, malgré d’éventuelles objections parentales, un modèle d’évaluation strict, des conditions matérielles particulières, dues au grand nombre d’élèves par classe et l’usage d’une langue d’enseignement non maternelle.
En France, la situation est bien différente et dans l’absolu, quelles objections recevables pourraient être opposées à la mise en place d’une telle expérience ? Une partie de la réponse figure peut-être dans ces lignes, extraites de cette étude : « Au-delà de constituer un riche et indispensable outil d’apprentissage, l’imagination est un chemin vers la formation de l’identité, vers la pensée divergente et la vision d’un futur choisi.(…) La liberté d’imaginer est nécessaire pour envisager des réalités alternatives, de potentiels futurs et les actions requises pour créer ces futurs. »
Si l’institution publique n’est pas en capacité de mettre en place de tels partenariats, malgré le bénéfice qu’en retireraient enfants et adultes, de telles initiatives existent néanmoins. Elles émanent du secteur privé et concernent majoritairement les écoles démocratiques. Le modèle de fonctionnement de ces établissements est la Sudbury Valley School, ouverte depuis 1968 aux Etats-Unis. Dans plusieurs de ces écoles en France interviennent, à différents niveaux, des parents ayant une longue pratique de l’instruction hors école. Qu’ils aient le statut de facilitateurs, appellation donnée aux adultes dans ces écoles, ou en assurent la direction, ils partagent, avec tous, l’inestimable valeur de leur expérience