L'école Steiner Waldorf - une secte ?

Une secte à l’école Steiner Waldorf ?

Info ou intox ?

Si la pédagogie Steiner Waldorf rencontre un large succès dans le monde, avec plus de 3000 établissements présents dans plus de 70 pays, elle fait parfois l’objet de controverses en France. Certains détracteurs acharnés entretiennent l’idée qu’elle serait en fait le bras armé d’une secte cherchant à endoctriner les enfants… De telles accusations résistent-elles à l’épreuve des faits ?


Une pédagogie de la liberté

Selon le professeur Loïc Chalmel, spécialiste des sciences de l’éducation, la pédagogie Steiner Waldorf est  une pédagogie précisément désaliénante, qui a pour objectif explicite la liberté et l’autodétermination : “penser que Steiner voulait endoctriner des individus pour qu’ils deviennent des agents de sa pensée est donc faire preuve de dilettantisme”1.

Quiconque prend véritablement la peine d’étudier les fondements de la pédagogie Steiner Waldorf parviendra rapidement à la conclusion qu’elle est tout sauf un projet visant la diffusion d’une doctrine ou conception particulière du monde. Et cela a été très explicitement formulé dès la création de la première école Steiner Waldorf à Stuttgart.

« Nous ne créerons pas ici, à l’école Waldorf, une institution où sera enseignée une certaine conception du monde. […] L’anthroposophie n’est pas un objet d’enseignement. […] Ce qui nous importera sera moins le contenu théorique de l’anthroposophie que l’application pratique de ce qui peut en naître pour la pratique de l’enseignement » — Rudolf Steiner2

Est-ce que cette intention fondatrice de la pédagogie Steiner Waldorf est cohérente avec les résultats obtenus ? C’est ce qu’a confirmé la recherche universitaire à l’aide d’études empiriques de grande ampleur.

Que dit la recherche universitaire ?

C’est sans doute l’étude dirigée par Heiner Barz par l’université de Düsseldorf en 20073, menée sur plus de 1000 anciens élèves Steiner Waldorf en Allemagne et rassemblant les contributions de 14 chercheurs qui répond le plus explicitement à la question du risque d’endoctrinement.

Dans la conclusion de l’étude, il est par exemple noté que « le reproche que les écoles Waldorf éduquent à l’anthroposophie, qui a été soulevé à maintes reprises, est réfuté de manière impressionnante par les données : La majorité des diplômés sont indifférents ou sceptiques à ce sujet ». Ou encore : « Finalement on peut considérer qu’un argument parfois utilisé par les critiques à l’encontre des écoles Waldorf a été une bonne fois pour toute contredit par notre étude : les écoles Waldorf sont tout sauf une institution de recrutement pour le mouvement anthroposophique, comme le montre la très faible part de « professions anthroposophiques » chez les anciens élèves. Au contraire : les écoles Rudolf Steiner sont aujourd’hui reconnues de manière assez large dans les couches aisées et cultivées de la population, et elles forment des jeunes disposés et bien préparés à exercer des professions à responsabilité en de multiples endroits de la société ». Et l’auteur précise : « On ne peut attribuer aux écoles Waldorf un rôle actif en tant que vecteur de représentations anthroposophiques, mais on peut leur attribuer une grande ouverture au niveau de la religion et de la conception du monde. »

Le « profil type » qui se dégage  des nombreuses études réalisées sur les anciens élèves de par le monde est difficile à concilier avec une pédagogie sectaire ou aliénante : ouverture d’esprit, sens critique, aptitudes sociales, adaptabilité et intégration, grande singularité des parcours etc.

Les nombreux témoignages d’anciens élèves et parents relatent une toute autre expérience de la scolarité Steiner Waldorf qu’un endoctrinement, et n’hésitent pas à exprimer leur stupéfaction face à la virulence des attaques que subit parfois la pédagogie Steiner Waldorf.

Pas de pratiques à caractère sectaire dans les écoles Steiner Waldorf selon la Miviludes et le ministère de l’Éducation Nationale

« Les contrôles diligentés […] n’ont pas révélé de pratiques à caractère sectaires. » déclarait en 2001 le ministre de l’éducation Jack Lang après un contrôle approfondi des établissements Steiner Waldorf sur le territoire national. En effet, les inquiétudes liées aux sectes à la fin des années 2000 avaient provoqué une grande méfiance vis à vis de nombreux courants s’inspirant d’une pensée alternative et les écoles Steiner Waldorf avaient alors connu une vague d’inspections sans précédents. Ces inspections ont donc démontré que les doutes envers les écoles Waldorf étaient infondés.

Jusqu’à aujourd’hui, les inspections régulières de l’Éducation Nationale dans les établissements Steiner Waldorf n’ont pas contredit cette conclusion de 2001. De son côté, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) dont la vigilance républicaine est légitime, fait le constat de “ne pas avoir eu connaissance de cas avérés de dérives sectaires dans les écoles Steiner Waldorf”. Les écoles Waldorf ne montrent donc pas de dérives sectaires dans les faits.

N’y a-t-il pas de fumée sans feu ?

Même si la recherche universitaire et les rapports des autorités de tutelle font apparaître que les accusations de dérives sectaires sont infondées, force est de constater qu’elles persistent et qu’un petit nombre de détracteurs trouve parfois dans la presse française une grande chambre d’écho. Il faut certainement blâmer le travail peu scrupuleux de certains journalistes qui ne prennent pas la peine de consulter les recherches universitaires et la réalité du terrain.

Le chercheur Jost Schieren décrit bien la manière dont l’anthroposophie et la pédagogie Waldorf s’articulent : « L’anthroposophie doit aider à créer une bonne pédagogie. Elle doit faire ses preuves et montrer sa fécondité, son efficacité. Elle n’a pas de valeur en soi, c’est seulement la création d’une bonne école qui lui donne de la valeur. Elle devient donc une sorte d’outil. L’outil n’a pas de fin en soi, il n’est qu’un moyen. » 

L’anthroposophie n’est ni une doctrine, ni une idéologie, elle veut être une méthode pratique de la pensée voulant objectiver les phénomènes spirituels afin de féconder divers champs d’application pratiques comme la pédagogie, l’agriculture, la médecine, les sciences sociales etc., en complémentarité avec la science classique. La pédagogie Steiner Waldorf n’a pas été pensée comme un outil de diffusion de l’anthroposophie, mais au contraire comme devant montrer l’efficience de l’anthroposophie en tant qu’outil pratique.

La pédagogie Steiner Waldorf n’a pas été pensée comme un outil de diffusion de l’anthroposophie, mais au contraire comme devant montrer l’efficience de l’anthroposophie en tant qu’outil pratique.

Au vu des études réalisées, le professeur Heiner Ulrich, spécialiste des sciences de l’éducation en Allemagne connu pour sa posture sceptique envers les écoles Waldorf, devait déclarer en 1994 que la pédagogie Steiner Waldorf était « une pratique fructueuse sur base d’une théorie douteuse ». Cette incompréhension théorique est certainement cause de méfiance. Il reste sans doute du chemin avant que l’anthroposophie ne soit plus considérée comme une « théorie douteuse » et trouve sa place dans le champ des disciplines de la connaissance. En portant un regard ouvert et sensible sur des thèmes réservés à la métaphysique, la spiritualité et la religion, elle fait souvent figure d’oxymore incompréhensible. Elle est de ce fait bien souvent classée dans la catégorie des doctrines religieuses ou ésotériques, ce qui entraîne des incompréhensions.

L’anthroposophie n’est pas enseignée dans une école Steiner Waldorf

Ni les neurosciences, ni les sciences de l’éducation ne sont enseignées dans une scolarité conventionnelle, de même, l’anthroposophie n’est pas enseignée dans les écoles Steiner Waldorf. L’anthroposophie permet au pédagogue qui décide de l’étudier d’élargir l’image de l’être humain offerte par l’anthropologie classique et d’approcher de manière artistique sa dimension spirituelle, qui s’exprime à travers la volonté individuelle, la liberté.

Le caractère très ouvert et syncrétique de l’oeuvre de Rudolf Steiner crée souvent des confusions. Le Professeur Loïc Chalmel explique les difficultés de réception du travail de Steiner dans la culture contemporaine : « [Rudolf Steiner] construit sa voie avec le meilleur du patrimoine culturel immatériel universel. Cette absence de prosélytisme ou de militantisme contribue à rendre ses idées irrecevables par les tenants de toutes les orthodoxies, d’autant que le métissage du christianisme avec des influences orientalistes opacifie son discours, le rendant suspect aux yeux des rationalistes occidentaux. »4

La collaboration active de la pédagogie Steiner Waldorf avec la recherche universitaire en sciences de l’éducation permet, depuis les années 2000, de lever peu à peu les doutes et les incompréhensions. Heiner Ulrich, d’ordinaire plutôt critique, doit constater dans l’avant propos de l’étude de Heiner Barz de 2007 que « la lecture de l’étude nous aide à dire adieu à certains préjugés et clichés répandus et à voir l’école Waldorf comme une institution éducative – qui doit encore être mieux profilée – dans laquelle de nombreuses personnes ont reçu une éducation qui leur convient. »

Gageons qu’en France les préjugés sauront être surmontés et qu’un travail constructif de clarification offrira enfin à la pédagogie Steiner Waldorf en France un contexte de développement positif et vertueux, comme c’est le cas chez de nombreux voisins européens. Les écoles Waldorf s’engagent pour la liberté de choix éducatif et veulent contribuer à élargir la diversité pédagogique offerte aux parents, pour le bien des enfants et en synergie avec les services de l’Etat.

Notes
  1. voir son interview dans la revue Kaizen
  2. Réunions avec les professeurs de l’école Waldorf de Stuttgart
    Tome 1 – 1919/1921 – Ed. Fédération des écoles Steiner Waldorf en France, 2005
  3. Barz, Heiner & Randoll, Dirk. (2007). Absolventen von Waldorfschulen: Eine empirische Studie zu Bildung und Lebensgestaltung. 10.1007/978-3-531-90658-4.
  4. Chalmel, L. (2016). Rudolf Steiner. De la philosophie de la liberté à une pédagogie de  l’autonomie, Paris, Fabert