La pédagogie Steiner-Waldorf à la lumière des neurosciences

Explorer les liens entre la neuroéducation et la pédagogie Steiner-Waldorf en utilisant les perspectives ouvertes par la théorie des intelligences multiples, développée par Gardner, tel est le thème d’une passionnante étude réalisée par deux chercheurs, Manos Mavrelos et Thanasis Daradoumis. Leur travail a donné lieu à la publication, en novembre 2020, dans la revue Education sciences, d’un article intitulé Exploring Multiple Intelligence Theory Prospects as a Vehicle for Discovering the Relationship of Neuroeducation with Imaginative/Waldorf Pedagogy: A Systematic Literature Review.

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Comment optimiser les conditions d’apprentissage ?

Les deux chercheurs évoquent les conclusions de rapports internationaux dans lesquels est relevée la nécessité d’améliorer les conditions d’apprentissage. Comme ils le précisent, le développement de différentes techniques d’imagerie cérébrale permet, désormais, de visualiser l’activité du cerveau durant un processus cognitif. En parallèle, une nouvelle discipline a émergé : MBE – Mind, Brain and Education Science, (Esprit, Cerveau et Sciences de l’Education). Elle rassemble des neuroscientifiques, des psychologues et des éducateurs qui tentent de comprendre quelles sont les meilleures conditions d’apprentissage pour l’être humain.

Cette discipline est présentée comme une approche holistique et alternative de l’éducation, qui étudie notamment les liens entre émotion et cognition, les effets de la mise en place d’un environnement émotionnel positif et de relations humaines fortes.

Ces éléments caractérisent, entre autre, la pédagogie Steiner-Waldorf, dont les deux chercheurs rappellent quelques points distinctifs : l’adaptation de l’enseignement aux stades de développement de l’enfant, dont elle distingue trois grands phases : de 0 à 7 ans, de 7 à 14 ans et de 14 à 21 ans ; la présence continue d’un enseignant de référence pendant 8 ans ; l’importance donnée au jeu comme moyen d’apprentissage ; la réflexion portée à l’usage des écrans ; le recours aux matières nobles, telles que le bois, dans la composition des objets utilisés ; la présence de l’eurythmie dans le cursus, qui associe le mouvement et la parole ; la considération donnée à l’expression orale, artistique, à l’imagination, à l’art et au bien-être physique et spirituel.

L’analyse des résultats

Pour découvrir les liens entre la neuroéducation et la pédagogie Steiner-Waldorf, les deux chercheurs ont utilisé les perspectives ouvertes par la théorie des intelligences multiples développée par Gardner. En effet, Gardner, cité par ces deux chercheurs, définissait ainsi sa théorie : « L’être humain ne possède pas qu’un unique type d’intelligence, que les psychologues appellent « g », pour intelligence générale. L’espèce humaine possède un ensemble d’intelligences relativement autonomes. » Gardner détaillait 8 types d’intelligences, qui servirent de base aux deux chercheurs pour présenter leurs résultats.

Ils ont étudié les publications répondant aux critères suivants : comporter plus de 5 pages, être rédigées en anglais, concerner les écoles et les élèves Waldorf, être postérieures à 2000 et se baser sur une recherche originale. Un minutieux travail de codage et de synthèse a mené à la mise en évidence, selon cette théorie des intelligences multiples, des aspects favorables à l’apprentissage, dans la pédagogie Steiner-Waldorf.

Pour rendre compte de leurs résultats, les deux chercheurs ont sélectionné les domaines d’intelligence établis par Gardner, et au sein desquels, ils ont relevé les méthodes d’enseignement selon la pédagogie Steiner-Waldorf. Ainsi, concernant le domaine Logique – Mathématiques, la méthode d’enseignement est décomposée en Casse-tête, résolution de problèmes, expériences scientifiques, calcul mental, nombres, jeux et pensée critique. La conclusion concernant ce domaine académique est que les résultats des élèves d’écoles Waldorf obtiennent, aux tests de mathématiques, des résultats équivalents à ceux d’élèves d’écoles publiques, quoique pas dans les petites classes. Selon certains travaux, par rapport aux élèves des écoles publiques, ceux des écoles Waldorf ont une meilleure compréhension en physique, une capacité de déduction, égale, voire supérieure, des capacités de raisonnement élevées et un raisonnement logique sophistiqué. Le recours à l’expérimentation, en vigueur dans ces écoles, tout comme le développement de compétences en matière de résolution de problème sont remarqués.

Ces deux chercheurs ont étendu leurs observations à tous les autres domaines liés à la théorie des intelligences multiples de Gardner : les intelligences linguistique, musicale, spatiale, corporelle et kinesthésique, interpersonnelle, naturaliste, existentielle. A ces thématiques, ils ont ajouté le développement intrapersonnel ; l’imagination ; l’âge de la scolarisation et de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ; le sommeil ; l’imitation ; les enfants TDA/H ; les activités physiques ; le rythme ; l’architecture et l’espace ; le stress, l’émotion et la cognition ainsi que l’usage des écrans et des ordinateurs..

Prise en compte des intelligences multiples et compréhension du développement cognitif

La conclusion générale de ce travail de recherche confirme la nature holistique des écoles Waldorf, dans lesquelles des méthodes d’enseignement variées sont utilisées pour aborder les différentes matières. Cette manière d’enseigner est compatible avec la théorie des intelligences multiples. Les chercheurs rappellent que Rudolf Steiner a établi sa théorie pédagogique en se basant sur trois aspects du développement de l’enfant : les sens, l’émotion et le cerveau. Aujourd’hui, les travaux en neurosciences semblent lui donner raison et le succès académique des élèves « peut être attribué à la façon dont le développement cognitif est compris dans ces écoles » écrivent-ils. Ils ajoutent que « certains aspects de la neuroéducation existent dans les écoles Waldorf. » Il reste encore de nombreuses pistes de recherche à explorer, mais d’ores et déjà, les liens entre cette pédagogie, la neuroéducation et la théorie des intelligences multiples « peut également fournir une nouvelle proposition de programme d’études plus holistique, plus humaniste et qui fusionne la pédagogie traditionnelle et la pédagogie alternative. » Lorsque ces travaux complémentaires auront été réalisés, « il sera important » suggèrent les deux chercheurs, « de proposer certains changements aux programmes scolaires traditionnels et alternatifs afin d’unifier les pratiques pédagogiques éprouvées de l’enseignement Waldorf avec les nouvelles découvertes neuroscientifiques. »

 

Bernadette Nozarian, auteure et chercheuse indépendante