La petite enfance ne s’arrête pas à 3 ans

Respecter le continuum de développement de 0 à 6 ans

En France, la petite enfance semble s’interrompre à trois ans, au moment où débute l’instruction obligatoire. Pourtant, les recherches en développement de l’enfant et l’expérience des pays scandinaves montrent que de 0 à 6 ans, les besoins fondamentaux de l’enfant forment un continuum : besoin de jeu libre, de mouvement, de lien, d’exploration et de stabilité affective. En coupant brutalement ce cycle naturel, notre système éducatif méconnaît la spécificité de cette période fondatrice. La pédagogie Steiner-Waldorf propose une autre voie : accompagner l’enfant jusqu’à 6 ans dans un cadre qui respecte son rythme, favorise sa créativité et développe sa relation au monde, avant d’aborder les apprentissages formels.


En France, on considère que la petite enfance s’arrête à 3 ans (on parle aujourd’hui de l’importance des 1000 premiers jours). Les Etablissements d’Accueil des Jeunes Enfants sont prévus pour les enfants de 3 mois à 3 ans et le domaine petite enfance fait partie du portefeuille du ministère des solidarités.

Lorsque l’enfant arrive dans sa 3ème année, il est soumis à l’instruction obligatoire et rentre à l’école. C’est un tout autre univers, régi par un ministère différent (Education Nationale), où l’accent est mis sur les apprentissages formels et la préparation à l’entrée à l’école élémentaire. Les enfants sont encadrés par des professeurs des écoles qui n’ont aucune formation spécifique pour la petite enfance, puisqu’ils peuvent avec ce diplôme enseigner soit en maternelle soit en élémentaire. Les taux d’encadrement changent aussi énormément : bien qu’ils ne soient déjà pas du tout adéquats en crèche et déconnectés des besoins réels de lien et d’attention des bébés (1adulte pour 5 enfants qui ne marchent pas et 1 pour 8 qui marchent), on passe à l’entrée en maternelle à des taux absolument ahurissants : 1 professeur et 1 ATSEM (qui n’est pas toujours présente en permanence selon les écoles) pour 25 à 30 enfants, qui n’ont parfois pas 3 ans ! On remarque donc qu’il y a en France une coupure nette aux alentours de 3 ans dans la prise en charge du jeune enfant.

Pourtant, de nombreuses recherches en développement de l’enfant, ainsi que l’expérience des pays nordiques et de certains modèles pédagogiques comme la pédagogie Steiner-Waldorf, montrent que la période de 3 à 6 ans est essentielle pour consolider les bases cognitives, émotionnelles et sociales qui soutiendront les apprentissages futurs, et donc qu’il est contre-productif d’imposer un cadre scolaire trop précoce : la petite enfance ne s’arrête pas à trois ans. 

Les besoins des jeunes enfants de moins de 6 ans

Le développement de l’enfant suit un continuum naturel de 0 à 6 ans : cette tranche d’âge est un moment particulièrement sensible pour le développement cognitif, émotionnel, social et moteur.

Le jeu libre est un soutien fondamental du développement de l’enfant au moins jusqu’à 6-7 ans.

Les besoins fondamentaux des jeunes enfants — jeu libre, mouvement, exploration sensorielle — ne disparaissent pas à trois ans. En laissant l’enfant évoluer dans un environnement qui respecte ses besoins jusqu’à l’âge de 6 ans, on lui permet de consolider les bases cognitives, émotionnelles et sociales qui soutiendront les apprentissages futurs.

Le jeu libre est « un jeu dirigé par l’enfant, où il suit ses instincts, ses idées et ses intérêts sans qu’un résultat soit imposé ». Il permet de :

  • Développer l’autorégulation et la régulation émotionnelle, en apprenant à gérer frustrations et émotions et à coopérer avec les autres.
  • Renforcer les fonctions exécutives — mémoire de travail, inhibition, flexibilité cognitive et planification — lors d’activités de jeu libre et dans des situations qui demandent adaptation et créativité, ces fonctions, qui sont encore peu développées à 3 ans, sont naturellement stimulées. Par exemple, lors d’un jeu de construction, l’enfant exerce ses fonctions exécutives. Lorsqu’il bâtit une maison avec des blocs, il imagine d’abord ce qu’il veut construire et organise les étapes pour y parvenir (planification). Il garde en mémoire la forme qu’il souhaite obtenir et la manière dont les pièces s’emboîtent (mémoire de travail). Si une tour s’écroule ou qu’un élément ne tient pas comme prévu, il cherche une autre stratégie ou modifie son idée initiale (flexibilité cognitive). Il doit aussi résister à l’envie d’agir trop vite ou de tout recommencer impulsivement (inhibition). Et si un camarade veut participer, il apprend à partager les blocs, à écouter les propositions de l’autre et à gérer sa frustration lorsque leurs idées diffèrent (régulation émotionnelle).
  • Acquérir des compétences sociales et relationnelles à travers les interactions avec les pairs et la participation à la vie du groupe.
  • Favoriser le bien‑être mental et affectif, en soutenant l’estime de soi et en réduisant l’anxiété et les symptômes dépressifs
Laisser l’enfant manipuler de vrais outils, en lui expliquant les règles de sécurité, est bénéfique.

Dans le cadre du jeu libre, il convient également de noter l’importance de faire confiance à l’enfant pour le laisser jouer à des jeux risqués. Lors de ces jeux, qui contiennent une part d’incertitude et d’inconnu, les enfants apprennent à réguler leurs émotions, à développer leurs capacités physiques, à s’adapter et à affronter les défis avec davantage de résilience.

La coupure arbitraire à trois ans n’est donc pas justifiée par le développement de l’enfant. En prolongeant l’accès à un environnement qui valorise le jeu libre jusqu’à six ans, on offre à l’enfant un temps d’expérimentation, de socialisation et de maturation avant que l’instruction formalisée ne prenne le pas.

Malgré les données scientifiques qui viennent étayer le continuum 0 à 6 ans, en France, à 3 ans, les enfants entrent à la maternelle et commencent une instruction formalisée qui limite l’espace de développement libre. Cela diffère des approches nordiques où, jusqu’à l’entrée à l’école primaire, l’enfant conserve un cadre où le jeu et l’exploration libre, notamment dans la nature dominent, et où l’accompagnement affectif et social est au cœur des priorités.

Cette coupure à trois ans n’est pas, du point de vue du développement de l’enfant, légitime.

Julie Marty-Pichon, co-présidente de la Fédération Nationale des Educateurs.trices de Jeunes Enfants

Le système d’accueil de la petite enfance dans les pays scandinaves

Dans les pays scandinaves, et en Allemagne également, les modes d’accueil de la petite enfance partagent plusieurs caractéristiques centrales :

L’exemple des pays nordiques (mais on retrouve aussi ces grands principes, à peu près identiques, dans les pays baltes par exemple) nous invite à repenser complètement la manière d’accueillir les jeunes enfants, bien plus respectueuse du rythme de développement qui s’inscrit dans un continuum de 0 à 6 ans. Après 3 ans, l’enfant a toujours des besoins spécifiques qui ne sont pas nourris par une éducation qui a pour vision principale d’« enseigner [des] notions le plus précocement dans la vie de l’enfant », et ce de manière formelle. Les bons résultats des pays nordiques et baltes au test PISA confirment la justesse de leur approche : laisser l’enfant vivre pleinement son enfance en jouant et explorant librement n’empêche nullement une scolarité épanouie par la suite, bien au contraire. Plus tôt n’est pas synonyme de mieux.

Les jardins d’enfants Waldorf : prendre en compte les spécificités de la petite enfance

La fabrication du pain : une activité sensorielle et motrice proposée chaque semaine dans les écoles maternelles Waldorf

A l’instar de ce qui se pratique dans les pays nordiques, les jardins d’enfants Waldorf offrent un espace où l’on tient compte du développement de l’enfant entre 3 et 6 ans et où l’on cherche à répondre aux besoins spécifiques des enfants de cette tranche d’âge.

Il y est reconnu que l’enfant, à ces âges-là, a besoin de temps, de rythme stable, de jeu, d’imaginaire, de nature plutôt que d’apprentissage académique précoce. Ainsi, le jeu libre, les activités artistiques et artisanales, le contact avec la nature et la vie communautaire sont valorisés.

Conscient de l’importance du lien entre le pédagogue et l’enfant, pour permettre de créer une véritable relation de confiance et instaurer un suivi individualité, la même jardinière d’enfants accompagne l’enfant pendant les 3 années de sa scolarité au sein du jardin d’enfants. L’effectif de chaque classe est également réduit (15 – 18 enfants accompagnés par deux adultes).

 

En France, repenser la période de 0‑6 ans comme une continuité — et non considérer la tranche 3-6 ans comme un simple prélude à l’école — ferait sens. C’est d’ailleurs ce pour quoi plaide, Julie Marty-Pichon, co-présidente de la Fédération Nationale des Educateurs.trices de Jeunes Enfants (FNEJE), dans son ouvrage intitulé “J’ai mal à ma crèche”:

“Je suis favorable à un grand ministère de l’Enfance et à un système intégré pour les 0-6 ans comme dans certains pays étrangers. Cette coupure à trois ans n’est pas, du point de vue du développement de l’enfant, légitime. Avec cette idée bien ancrée qu’à la crèche on joue et qu’à l’école on apprend ! Comme si la frontière était nette et précise. Et puis bien sûr on a tendance à opposer professionnels de la petite enfance et enseignants.”

L’enfance ne devrait pas être hâtée vers l’instruction académique. Les systèmes scandinaves et allemands le montrent : lorsque l’accueil de la petite enfance (0‑6 ans) repose sur le jeu libre, l’exploration, le contact avec la nature et le respect des rythmes de l’enfant, les conditions de développement sont optimisées. Cela rejoint pleinement la pédagogie Steiner-Waldorf qui considère cette période comme une étape à honor­er, et non à précipiter.