Le livre « une enfance en nORd »

L’enfant, sujet de droits

En Suède, l’enfant est reconnu comme un sujet de droits à part entière. Dans Une enfance en nORd, Marion Cuerq montre comment cette vision a transformé la relation éducative et la société suédoise elle-même. À travers cet éclairage, elle nous invite à repenser notre conception de l’enfance et du rôle de l’adulte, en écho profond avec les valeurs portées par la pédagogie Steiner-Waldorf.


En France, l’éducation positive fait l’objet de vives polémiques. La toute dernière ayant eu lieu suite à la publication du référentiel national sur la petite enfance en 2025. Plus de 200 professionnels l’ont critiqué pour son approche jugée trop permissive, défendant l’idée que les enfants ont besoin de frustrations et de sanctions proportionnées pour grandir en sécurité.

Cette approche coercitive, préconisée par Caroline Goldman, qui recommande notamment l’usage du “Time Out” et des punitions strictes, dès la petite enfance, pour imposer l’obéissance, est pourtant remise en question par de nombreux chercheurs qui mettent en avant son inefficacité mais également pointent du doigt le risque d’accroître l’anxiété de l’enfant et de freiner son développement socio-émotionnel.

La controverse dépasse le simple débat éducatif. Elle interroge notre conception de l’enfant et, plus largement, de l’humanité que nous souhaitons voir grandir et de la société dont que nous voulons.

Dans ce contexte, le travail de Marion Cuerq apporte un éclairage précieux.

Marion Cuerq est une spécialiste des droits de l’enfant et de la culture suédoise. Dans son livre, une enfance en nORd, elle nous invite à repenser l’enfance à partir d’un principe fondamental : l’enfant est un sujet de droit. C’est à partir de cette reconnaissance que s’est construite en Suède, à partir de 1979, toute une nouvelle réflexion sur l’éducation et par là sur la société. Le livre de Marion Cuerq présente le système suédois, nous questionnant ainsi sur notre propre vision culturelle de l’éducation et sur ce que nous pourrions mettre en place pour, nous aussi, mettre l’enfance au cœur d’un nouveau projet de société.

 

L’enfant, sujet de droits

Le socle primordial sur lequel repose le système suédois est la Convention internationale des droits de l’enfant (1989), qui place l’enfant comme personne à part entière, dotée de droits propres : dignité, protection, expression, participation. Dans cette perspective, l’enfant n’est pas seulement un futur adulte à former : il est un sujet à part entière, capable de contribuer à sa vie et à sa relation avec les adultes.

« Les seuls droits [que les enfants] ont, c’est ceux que nous adultes voulons bien respecter. Il est impératif de faire de notre supériorité de pouvoir sur les enfants, un outil pour la promotion de leurs droits, et non pas un moyen d’écrasement. » Marion Cuerq

Cette reconnaissance change profondément le regard porté sur l’enfant. On cesse de le considérer comme un “objet d’éducation” et on le voit comme un partenaire dans la relation, dont les besoins, les ressentis, les envies et les avis comptent.

La relation adulte-enfant, envisagée à partir des droits de l’enfant, s’inscrit alors dans une logique horizontale, où l’adulte n’impose pas son statut dominant (qu’il conserve, car il a la priorité de définition dans la relation, c’est-à-dire le pouvoir de décider de la réalité pour les enfants) pour obtenir obéissance ; Au contraire, il cherche à maintenir le lien, à soutenir et protéger l’enfant, en faisant de sa position de pouvoir un outil au service des droits de l’enfant. Car, comme comme Marion Cuerq insiste, « les droits des enfants, ce sont nos devoirs ». « Les seuls droits qu’ils ont, c’est ceux que nous adultes voulons bien respecter. Il est impératif de faire de notre supériorité de pouvoir sur les enfants, un outil pour la promotion de leurs droits, et non pas un moyen d’écrasement. » Cette conception invite à repenser toute relation éducative : le pouvoir n’est plus un instrument de contrôle, mais un levier pour favoriser l’épanouissement et la liberté des enfants.

Cette posture nécessite de tenir compte de deux concepts :

  • La hauteur d’enfant : Dans chaque situation, on cherche à se mettre à la place de l’enfant, à comprendre son vécu et ses émotions.
  • L’enfant auteur : l’enfant n’est pas passif dans la relation, il faut lui permettre à d’exprimer ses besoins et ses envies, et surtout prendre ces expressions au sérieux. L’enfant devient alors co-auteur de son développement et de la relation éducative. Ce concept est une incarnation pratique de l’article 12 de la Convention des droits de l’enfant : « L’enfant a le droit, dans toute question ou procédure le concernant, d’exprimer librement son opinion et de voir cette opinion prise en considération. »

Pour intégrer ces deux dimensions, l’adulte doit établir sa relation avec l’enfant sous le filtre de la confiance : chercher à comprendre avant de juger, interpréter les comportements de l’enfant à la lumière de ses besoins plutôt que comme des provocations, et considérer que l’enfant recherche toujours le lien.

L’enfant roi? Autorité et pouvoir dans la relation éducative

On pourrait croire, à tort, que cette approche nivelle les différences de pouvoir et laisse l’enfant « tout faire ». Il n’en est rien. L’adulte reste celui qui détient le pouvoir, de par son expérience et sa maturité. Mais il change de nature : ce n’est plus un pouvoir qui écrase, impose, mais un pouvoir qui implique une responsabilité : de prendre soin, protéger, réguler, accompagner. L’adulte conserve la priorité de définition : c’est lui qui donne sens à la situation, qui en fixe les limites et qui prend les décisions nécessaires à la sécurité et au bien-être de l’enfant.

Le pouvoir est mis au service de la relation, où l’adulte instaure une autorité fondée sur la cohérence et la confiance. L’enfant reconnait cette autorité non car il la subit mais car il en saisit les intentions justes et claires.

Un pédagogue qui accompagne et soutient : tel est la vision de la pédagogie Steiner-Waldorf

Jespeer Juul, thérapeute familial danois et auteur de plusieurs livres sur l’éducation, a développé le concept d’équidignité pour résumer cette posture. Les adultes et enfants ne sont pas égaux en compétences, en expérience ou en responsabilités, mais ils sont égaux en dignité : leurs émotions, leurs besoins, leur parole a la même valeur que celle des adultes, d’où la nécessité d’en tenir compte dans la relation (on revient aux concepts d’hauteur d’enfant et enfant-auteur expliqués par Marion Cuerq dans son livre). C’est l’adulte qui est le garant de cette équidignité, fort de sa maturité.

Dans cette logique, il ressort que le pouvoir détenu par l’adulte implique la responsabilité du lien. Seul l’adulte est responsable de la qualité de la relation. C’est à lui de réparer, reconnaitre ses erreurs, ajuster, transformer la relation quand il le faut, de manière à maintenir le lien quelle que soit la situation, même lorsque l’enfant est en difficulté, dans les moments de tension ou de désaccord. L’enfant, lui, n’a pas à porter cette charge : il doit pouvoir s’y appuyer.

Ainsi comprise, l’autorité n’est ni autoritaire ni permissive.
Elle devient relationnelle, c’est-à-dire qu’elle s’enracine dans la qualité du lien, la confiance mutuelle et le respect réciproque. Elle repose sur la cohérence intérieure de l’adulte, qui a la capacité d’agir avec ses valeurs, d’exprimer ses propres limites et d’accueillir celles de l’enfant.

Cette autorité, fondée sur l’équidignité, constitue le cœur d’une éducation non violente et responsable : une éducation qui ne cherche pas à soumettre l’enfant, mais à lui permettre de grandir dans la sécurité d’une relation juste.

Aux antipodes de la tendance « no-kids » : l’inclusion des enfants dans la société suédoise

Dans son livre, Marion Cuerq explique également comment ces concepts ne restent pas théoriques : ils s’incarnent dans la société suédoise :

  • Espaces inclusifs :

A l’opposé des espaces « no kids » qui se développent un peu partout en France, la Suède a au contraire fait de l’inclusion des enfants un pilier de l’organisation des espaces publics : bibliothèques, musées, transports, magasins, parcs …. sont pensés pour accueillir les enfants, reconnaissant leur place sociale.

  • Congés parentaux longs et partagés

Pour qu’un enfant puisse grandir et s’épanouir dans la sécurité affective, l’attachement à une figure de référence (généralement les parents) dès sa naissance est un pré-requis (c’est la théorie de l’attachement). Cette relation stable et sécuritaire prend du temps à se construire : pour cela, des congés parentaux longs et partagés entre les deux parents ont été instaurés (480 jours par enfant, partageable entre les deux parents). Ce temps partagé est considéré comme une base indispensable de la sécurité intérieure de l’enfant.

  • Pré-écoles (förskola) :

Les pré-écoles jouent un rôle fondamental pour faire vivre cette conception de l’enfant. Elles ne sont pas pensées comme des lieux de préparation scolaire, mais comme des espaces de vie, de relation et d’apprentissage social. L’objectif n’est pas d’enseigner des compétences académiques, mais d’aider chaque enfant à développer son autonomie, sa curiosité et sa confiance en lui dans un environnement sécurisant et bienveillant.

Cet environnement inclut des éducateurs qui placent la confiance réciproque au cœur de la relation adulte-enfant, qui cherchent à être des modèles dont l’autorité se manifeste par la stabilité, la bienveillance et la cohérence de leurs gestes, qui encouragent l’enfant à participer à la vie collective pour développer son autonomie et son sentiment d’appartenance et de responsabilité. Les espaces sont aménagés à hauteur d’enfant et l’accès la nature est systématique, car le jeu libre en plein air est considéré comme un droit fondamental et une condition du développement global harmonieux de l’enfant.

La pré-école suédoise n’a pas seulement une fonction éducative : elle est perçue comme le socle de la démocratie. C’est là que s’apprend la vie en société, l’écoute, la coopération et le respect mutuel. Le cadre législatif suédois reflète cette conviction : depuis 1998, le programme officiel des pré-écoles stipule que “l’éducation préscolaire doit poser les fondations d’une compréhension démocratique de la vie”. Les valeurs de respect, de solidarité et d’égalité y sont explicitement inscrites.

Le livre de Marion Cuerq nous montre comment, à l’instar de ce qui se pratique en Suède, reconnaître l’enfant comme une personne à part entière, sujet de droits, permet de repenser complètement la relation éducative, pour qu’elle devienne horizontale, basée sur la confiance, la responsabilité et l’écoute, ce qui conduit naturellement à la hauteur d’enfant et à la reconnaissance de l’enfant comme auteur de sa vie.

L’autorité et le pouvoir ne disparaissent pas, mais se transforment en une responsabilité de l’adulte de créer et maintenir une relation de confiance, où l’enfant se sent sécurisé et respecté.

La société suédoise montre qu’une telle approche peut être mise en œuvre concrètement, créant un environnement éducatif et social où les enfants sont inclus, protégés et entendus.

La pédagogie Steiner-Waldorf au diapason avec cette conception scandinave de l’enfant

Les principes présentés par Marion Cuerq dans Une enfance en nORd trouvent un profond écho dans la pédagogie Steiner-Waldorf. Tous deux reposent sur une même confiance dans les capacités de l’enfant et une même exigence d’humanité dans la relation éducative.

Une vision commune de l’enfant et de la relation éducative

La pédagogie Steiner-Waldorf ne considère pas l’enfant comme un objet d’éducation, mais un être en devenir, à la dignité équivalente à celle des adultes et porteurs de potentialités uniques qu’il convient de respecter pour qu’elles puissent parfaitement émerger. L’éducation vise à accompagner son développement, non à le modeler selon des attentes extérieures.

Se saluer pour recréer le lien à chaque début de journée.

Le lien humain est primordial, l’éducation étant une rencontre entre le pédagogue et ses élèves, qu’il cherche à connaitre et à comprendre au mieux. L’autorité découle de ce lien de confiance crée :  elle n’est pas imposée mais reconnue par l’enfant, qui y trouve repère et sécurité. Le pédagogue est là pour guider, accompagner soutenir l’enfant sur son chemin de développement : il garde bien le pouvoir, comme l’explique Marion Cuerq, mais en fait en devoir de protection et d’accompagnement.

La confiance est cœur de cette relation : confiance dans les capacités de l’enfant, dans ce qu’il peut devenir (même si cela nous est encore caché, le pédagogue Waldorf respecte ce mystère qu’est un enfant sans chercher à le conformer à une étiquette ou une autre). Ce regard bienveillant posé sur l’enfant lui permet de grandir dans la sécurité affective d’un environnement qui croit en ses forces propres.

Reconnaître la dignité et les droits de l’enfant, c’est poser les bases d’une société plus humaine et solidaire. Pour la pédagogie Steiner-Waldorf, tout comme la vision suédoise, l’éducation est un acte social et culturel tourné vers l’avenir avant d’être scolaire.

Les points communs entre la Pré-école suédoise et jardin d’enfants Waldorf

le jeu libre

La pré-école suédoise décrite par Marion Cuerq et le jardin d’enfants Waldorf partagent une même philosophie : offrir au jeune enfant un espace de vie adapté à son âge, où il puisse se sentir en sécurité, explorer, jouer et participer à la vie collective.

Le jardin d’enfants Waldorf propose un environnement pensé pour l’enfant, qui favorise notamment le jeu libre. Celui-ci est considéré comme une activité essentielle. Il permet à l’enfant d’intégrer le monde à son rythme, d’exercer sa créativité et de construire sa pensée.

le lien à la nature

Tout comme dans la pré-école suédoise, le lien à la nature est quotidien, par des sorties et temps de jeu en extérieur et une attention portée aux rythmes des saisons (avec les fêtes, la tables des saisons, les activités de saisons). Ce contact avec la nature nourrit la confiance et la joie d’être au monde.

la participation à la vie collective et aux tâches ménagères

repas école maternelle Waldorf
A l’école maternelle Waldorf l’attention est portée aux apprentissages sociaux en participant à la vie collective

S’il n’y a pas de préapprentissages scolaires au jardin d’enfants Waldorf (ni à la pré-école), l’accent est mis sur les apprentissages sociaux par la vie collective. Les relations, la coopération, l’attention à l’autre, le respect et les gestes du quotidien sont au cœur de l’éducation. On apprend d’abord à vivre ensemble. Le jardin d’enfants devient un lieu où se vivent concrètement les valeurs de dignité et de solidarité.

une autorité basée sur la relation de confiance

Le système suédois, tout comme la pédagogie Steiner-Waldorf reposent sur une éthique de la responsabilité adulte : celle d’accompagner sans contraindre, de guider sans imposer, de protéger sans enfermer.

Ces deux approches rappellent que l’éducation ne se réduit pas à la transmission de savoirs, mais qu’elle engage avant tout une culture de la relation, fondée sur la confiance, la bienveillance et la reconnaissance mutuelle.
Elles affirment que c’est dans la qualité du lien entre l’adulte et l’enfant que se forment les bases de la liberté intérieure, du sens moral et de la vie sociale.