L’éducation durable

Des compétences durables pour un monde durable

Il ne suffit plus en effet que chaque individu accumule au début de sa vie un stock de connaissances, dans lequel il pourrait ensuite puiser indéfiniment. Il faut surtout qu’il soit en mesure de saisir et d’exploiter d’un bout à l’autre de son existence toutes les occasions de mettre à jour, d’approfondir et d’enrichir cette connaissance première, et de s’adapter à un monde changeant »

Ces lignes sont extraites du rapport de Jacques Delors, cité par Cynthia Luna Scott, dans le document qu’elle a rédigé pour l’UNESCO et qui a été publié en 2015 sous le titre ; Les apprentissages de demain : Quel type d’apprentissage pour le XXIe siècle ? 

Mais comment acquérir ces compétences et l’éducation durable peut-elle constituer l’un des moyens d’y parvenir ?


Du développement durable à l’éducation durable

L’éducation durable est un concept récent, mentionné pour la première fois, au début de notre siècle, par des membres du Australian and British educational traditions of Environmental Education (EE) et du Education for Sustainable Development (ESD).

Ce terme s’est ensuite rapidement répandu, est devenu un mouvement international qui repose sur les concepts et les objectifs du développement durable. Une orientation davantage axée sur l’éducation a vu le jour, basée sur des programmes internationaux, tels que le programme Eco-Schools auxquels se sont ajoutés des initiatives locales, ainsi en Australie, Australian Sustainable Schools Initiative, au Royaume-Uni, Sustainable Schools, en Nouvelle Zélande, EnviroSchools, aux Usa, Green Schools Alliance, en Suède, Green School Award

Grâce aux efforts conjoints de deux organismes, l’Environmental School Initiatives – ENSI – et le School Development through Environmental Education – SEED – une liste de critères qualitatifs a été établie à l’intention du personnel des écoles durables ainsi qu’un document de travail traduit dans de nombreuses langues. L’idée est que ces écoles constituent des laboratoires dans lesquels expérimenter les nécessaires changements dont notre société a besoin. Parmi ces changements indispensables figurent les méthodes d’enseignement et ce n’est sans doute pas un hasard, si ces écoles privilégient les méthodes actives d’apprentissage, méthodes justement retenues dans les écoles alternatives. De plus, de par leur fonctionnement, elles favorisent l’engagement citoyen de leurs élèves, précisent les chercheuses dont je présente le travail réalisé dans une école Waldorf en Grèce.

Un exemple particulièrement frappant de cette conjugaison entre respect de l’initiative des élèves et respect de l’environnement, et que je ne résiste à,vous présenter,  est donné par la Green School de Bali, dans laquelle deux jeunes élèves ont mis une action en place et réussi à stopper l’usage des sacs en plastique sur leur île. La réalisatrice Flore Vasseur a tourné un film sur cette initiative.*Et si les enfants changeaient le monde. » Ce film est accessible gratuitement en ligne.

L’éducation en France : quelle place pour l’autonomie des élèves et les méthodes actives ?

Autonomie des élèves, méthodes actives, libres initiatives, engagement citoyen… quel écho rencontrent ces mots en France ? Quel est le ressenti des principaux intéressés : les élèves, les enseignants et les parents ?  Cet écho paraît  bien faible et, en revanche, le son qui résonne semble être plutôt celui de réserves exprimées à l’encontre d’un enseignement standardisé.

A 17 ans, bon élève, Wilson Mbanbalé était prêt à abandonner le lycée à quelques mois du bac, fatigué de s’y étioler. « En entrant dans le système scolaire, j’avais un brasier d’ambition, de curiosité et de joie de vivre qui brûlait en moi, je me suis retrouvé avec une flamme d’allumette. Mais je n’ai pas attendu que le système me souffle dessus, je me suis pris en main. »  Utilisant son énergie débordante, son regard critique acéré, son expérience personnelle et celle de ses camarades « Le système éducatif rend les élèves malheureux : on ne leur apprend ni ce qu’ils veulent, ni ce dont ils ont réellement besoin. » L’ensemble est devenu un livre, Ça va pas l’école, qu’il a publié et commercialisé en 2019. Son initiative lui a valu une certaine reconnaissance «Des élèves viennent me voir et me disent qu’ils s’ennuient en cours, qu’ils se sentent formatés, qu’ils ne savent pas quoi faire. Je reçois aussi des mails de parents et de profs qui ressentent les mêmes choses. Pour tous, le même constat : ‘Le système nous écrase. »

Mère de famille et juge en tribunal administratif, Prune Helfter-Noah a longuement réfléchi au contenu des programmes scolaires et à son effet sur les enfants. L’expérience du confinement a été, pour elle comme pour d’autres parents, un moment charnière. De cette prise de conscience est né un livre En finir avec l’école, Un projet de société émancipateur, co-publié par les éditions L’instant présent et Le hêtre-Myriadis. Elle déplore par exemple, la vision du monde enseignée par l’école, étriquée selon elle. « … le référent de base est toujours l’Etat-nation français et ses habitants plutôt que l’être humain en général et son environnement, qu’il réside au sein de nos frontières ou à l’extérieur. On enseigne ainsi un « nous » qui est toujours opposé à un « eux » multiple qui regroupe l’essentiel de l’humanité plutôt que d’insister sur ce qui nous rapproche en tant que vivants… » Comment parler d’éducation à la paix sur une telle base, s’interroge-t-elle ?

Des réserves émanent aussi de professionnels de l’enseignement. Chaque rentrée amène son lot de livres sur le sujet. Marie-Laure Viaud, également mère de famille, mais aussi enseignante-chercheuse, spécialiste des pédagogies alternatives et l’une des fondatrices de L’autre collège, à Paris, un collège alternatif, exprime son point de vue, dans son ouvrage, Changer l’école, Une nouvelle école est possible reconnectée à l’enfant et aux défis du monde. Elle constate l’inadéquation du système scolaire français actuel, rappelle que les pédagogies différentes sont efficaces et propose diverses pistes de changement.

Les écoles Waldorf : des écoles durables?

Ni l’éducation durable, ni la pédagogie Steiner-Waldorf ne sont des méthodes infaillibles. Mais par certains points, elles se rejoignent. D’ailleurs, en France, l’école Waldorf Blanchefleur à Troyes est labellisée éco-école, tandis que de nombreux autres établissements, dans différents pays, répondent aux critères d’accréditation. Et c’est cette congruence qui a été étudiée par Maria Daskolia et  Vassiliki Koukouzeli dans une école Waldorf en Grèce en 2019. Leur travail a donné lieu à la publication d’un article intitulé : How Sustainable Is a Waldorf School? Exploring the Congruence between Waldorf Education and the Sustainable School Approach in a Greek School Case Study  – ou “Quelle est la durabilité d’une école Waldorf ? Exploration de la congruence entre l’éducation Waldorf et l’approche de l’école durable dans une étude de cas d’une école grecque” paru dans la revue Education Sciences.

Ces chercheurs écrivent que la théorie et la pratique éducatives ont toujours été à la recherche de modèles nouveaux et alternatifs et d’approches destinées à transformer le rôle de l’enseignement scolaire afin de le stimuler et d’atteindre de nouveaux objectifs sociaux et de nouvelles visions.

L’école qu’ils ont étudiée est la première école Waldorf fondée en Grèce, en 2017, par un groupe d’enseignants désireux de créer « une cellule sociale » dans laquelle les élèves se sentiraient émotionnellement en sécurité, heureux, impliqués, prêts à collaborer les uns avec les autres et respectueux du monde qui les entoure.

Pour mener cette enquête, des entretiens semi-directifs ont été conduits avec les enseignants et un questionnaire écrit confidentiel leur a également été adressé.

Parmi les réponses obtenues, des notions ressortent. L’autonomie et la liberté notamment. La durabilité est perçue comme un mode de vie qui tend vers la liberté, le bonheur, l’équilibre et l’harmonie. Parmi les valeurs énoncées figurent la responsabilité sociale,  l’auto-détermination des individus, la solidarité. La durabilité est aussi vue comme un moyen de se réaliser pleinement, d’être profondément en lien avec le reste du monde ; objectifs parfaitement en phase avec la pédagogie Steiner-Waldorf.

La durabilité est aussi vue comme un moyen de se réaliser pleinement, d’être profondément en lien avec le reste du monde

Le domaine relationnel est particulièrement mentionné par les enseignants qui évoquent des interactions constantes, le fait de se voir comme une partie intégrale de la société, d’être impliqué dans la vie sociale, de former les élèves à être eux-mêmes, à prendre des responsabilités.

«Une bonne école est une école qui répond vraiment aux besoins des enfants et non à ce que la société attend des enfants. » précise une professeure.

Ces enseignants décrivent leur approche pédagogique, centrée sur les élèves et  adaptée à leurs besoins. De ce fait, les élèves s’impliquent dans leurs apprentissages, qui sont basés sur leurs centres d’intérêt et leur stade de développement, cela grâce à une certaine flexibilité. Confiance et respect mutuels lient professeurs et élèves. L’attention, l’affection même, sont reconnues comme importantes, car elles affectent aussi bien la vie des enfants, que celle des adultes, enseignants comme parents.

De nombreux autres points sont mentionnés par ces enseignants dont les réponses laissent transparaître l’enthousiasme et la passion pour le métier qu’ils exercent

Alors, même si aucune méthode pédagogique n’est infaillible, puis qu’aucun enfant n’est semblable à un autre, qu’aucun parent ni aucun enseignant n’est le clone d’un autre, la diversité est la seule possibilité pour que chacun apprenne exactement ce dont il a besoin.

Les éco-écoles : une comparaison éclairante entre agriculture et éducation

Puisque l’éducation durable a à voir avec le développement durable et l’écologie, rappelons-nous du livre si glaçant de Rachel Carson Le printemps silencieux (Silent Spring) paru aux début des années soixante. Comparons l’agriculture et l’éducation, les produits chimiques utilisés pour éradiquer les mauvaises herbes, tout ce qui dépassait de la norme agricole établie à cette période Aujourd’hui, tout ce qui dépasse de la norme éducative établie est malmené, lors de contrôles de l’instruction musclés ou par des lois liberticides. Combien d’années ont été nécessaires pour que certains comprennent, enfin, que quelques bleuets et coquelicots dans un champ de blé ravissent le regard et rappellent le droit naturel à la variété. Mais au prix de combien de morts ? Quid de l’éducation ? Un enseignement uniformisé et standardisé n’a rien de vivant.

 

Bernadette Nozarian