Stigmatisation des écoles Waldorf

L’Express se fait caisse de résonnance

L’article paru dans le journal L’Express «  Ecoles Steiner en Alsace : “Il y a une vraie loi du silence dans ces établissements” » publié sur le site internet du journal, et disponible depuis le 3 juillet 2023, vient ternir l’image des écoles Waldorf et stigmatiser les familles qui y inscrivent leurs enfants. Il reprend sans les vérifier de nombreuses affirmations faites par une élue, alors que celles-ci peuvent pourtant être facilement démenties. La Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf en France appelle à la plus grande prudence face à la présentation qui est faite de ses écoles dans cet article, et espère que l’école de Strasbourg n’est pas instrumentalisée dans le cadre d’un débat politique plus large.


L’auteur de cet article, Monsieur Thomas Mahler, journaliste au Point puis à l’Express, a déjà publié plusieurs articles sur les écoles Waldorf sans jamais se donner la peine de contacter la Fédération ou l’établissement sur lequel porte son propos, enfreignant ainsi l’obligation déontologique d’équité. Il a toujours refusé jusqu’à présent de corriger les erreurs factuelles qui ont été portées à sa connaissance, ce qui constitue un manquement à la fois à la règle d’exactitude et à l’obligation de rectification des erreurs.

La Fédération entend ici rétablir les faits. 

Une pédagogie qui cultive les valeurs de la République et le vivre-ensemble

Bien loin de l’image véhiculée par le titre de cet article “Ecoles Steiner en Alsace : il y a une vraie loi du silence dans ces établissements”,

la Fédération tient à rappeler que les écoles Waldorf appartiennent à un réseau pédagogique reconnu et célébré à travers le monde, et que les valeurs qui sont cultivées par la pédagogie Steiner-Waldorf sont en adéquation avec nos valeurs républicaines.

Tout d’abord, la fraternité : celle-ci est visible et cultivée à tous les niveaux, que ce soit au sein des classes, dans les collèges pédagogiques, dans la gouvernance des écoles, ou dans le principe de solidarité appliqué dans le calcul des écolages.

Mais aussi la laïcité qui est de rigueur dans toutes les écoles Waldorf du monde, qui respectent les différentes cultures et religions des pays dans lesquelles elles sont implantées, avec une ouverture à une spiritualité libre, telle qu’elle avait été évoquée par Abdennour Bidar dans une tribune parue dans Le Monde.

En outre, la pédagogie Steiner-Waldorf veille à préparer les élèves au monde de demain en travaillant leur polyvalence, leur créativité, et en cultivant leur conscience écologique.

Ce sont ces facteurs qui motivent le choix des parents d’inscrire leurs enfants dans une école Waldorf et non pas les raisons “par défaut” avancées par la conseillère municipale Pernelle Richadot abondamment citée par le journaliste de l’Express.

L’anthroposophie n’est pas transmise aux élèves

L’anthroposophie a été popularisée il y a plus de cent ans par Rudolf Steiner, au sortir de la première guerre mondiale, dans un esprit de fraternité, afin d’échapper aux impasses de son temps, qu’il attribuait au matérialisme et à l’égoïsme de nos sociétés.  Abondamment dénoncée par les détracteurs de la pédagogie Steiner Waldorf, elle est une démarche de connaissance de soi et de l’être humain qui n’est pas enseignée aux élèves. Tout comme les sciences de l’éducation sont réservées aux professeurs et non aux élèves, elle relève d’une méthode de travail qui sert aux seuls pédagogues.

Si la Fédération reconnaît volontiers que l’anthroposophie a pu être traitée par plusieurs de ses utilisateurs comme une doctrine salutaire, sans distance critique, et avec peu d’éclaircissements conceptuels,[1] elle tient à souligner qu’il importait beaucoup à Rudolf Steiner en fondant cette pédagogie que les écoles Waldorf ne deviennent pas les écoles d’une conception du monde. Comme le souligne Jost Schieren, chercheur en sciences de l’éducation à l’université de Dortmund dans son ouvrage “La pédagogie Waldorf : état des lieux, fondements et perspectives” Rudolf Steiner a, “encore et toujours, et de façon décidée, insisté sur le fait que l’anthroposophie ne devait pas s’introduire dans le programme scolaire de l’école”. Il le cite à ce sujet :

Chaque jour, on s’efforce de nouveau de ne pas tomber, d’une manière ou d’une autre, dans une unilatéralité anthroposophique à cause de l’excès de zèle d’un enseignant … Ce qui doit fonder le principe de l’école Waldorf, c’est uniquement l’être humain, et non l’être humain d’une certaine conception du monde.[2]

La Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf en France oeuvre, depuis plusieurs années, de concert avec le mouvement des écoles Waldorf à travers le monde, à dégager les principes fondamentaux de la pédagogie Steiner-Waldorf, bien loin des clichés ésotériques et sectaires, et elle ouvre un espace de dialogue au-delà des idées toutes faites de certains utilisateurs, et des condamnations arbitraires de ses détracteurs. Elle travaille, en s’appuyant sur des recherches universitaires et empiriques, à dégager l’esprit de la pédagogie Steiner Waldorf à partir des impulsions données par Rudolf Steiner lors de ses conférences, en gardant comme ligne de conduite le but ultime de sa pédagogie : accompagner les jeunes pour qu’ils trouvent leur propre voie et puissent apporter leur contribution à la société. Comme Jost Schieren le rappelle :

“Il n’existe aucun écrit de la main de Rudolf Steiner qui expose ce qu’est sa pédagogie de manière systématique ou codifiée, ce sont des impulsions qu’il donne, en mettant toujours l’accent sur l’importance de la créativité et l’inspiration des professeurs qui doit être nourrie par leur compétence et leur enthousiasme pour la matière qu’ils enseignent, et l’attention qu’ils portent à leurs élèves.”

C’est dans cet esprit que la Fédération a défini un label de qualité, qu’elle s’attache, en collaboration avec les pédagogues et les écoles de son réseau, à faire respecter, afin d’offrir aux enfants et aux jeunes qui lui sont confiés un cadre pédagogique qui réponde à l’ambition de la pédagogie qu’elle défend : aider les élèves à devenir de jeunes adultes libres, capables d’initiative et dotés d’esprit critique, se déterminant par eux-mêmes, afin de trouver leur juste place dans la société, tout en respectant le socle commun de compétences et de culture, tel qu’il a été défini par le ministère de l’Education Nationale.

Des écoles soumises à un contrôle pointilleux

Cet effort de qualité se fait en collaboration avec l’inspection académique. En effet, contrairement à ce qu’affirme la conseillère municipale de Strasbourg, il est inexact de prétendre que les écoles Waldorf « bénéficient d’une grande indulgence » : elles sont au contraire soumises à un contrôle extrêmement pointilleux,[3] qui jamais n’a permis de déterminer la moindre dérive sectaire, comme en atteste la Miviludes elle-même dans une réponse parue dans le journal ToutEduc le 27 mars 2023, dont nous vous faisons part dans un autre article.

La Miviludes a reconnu n’avoir jamais constaté “aucun élément permettant de caractériser une dérive sectaire avérée dans les écoles Waldorf”.

Des rumeurs et des inexactitudes amplifiées par la presse

Si nos écoles « défraient régulièrement la chronique », c’est que, bien malgré elles, elles sont souvent la cible d’articles à charge colportant des rumeurs et des inexactitudes que l’on peut pourtant facilement corriger. La plus récente d’entre elles prétendait que des élèves de Strasbourg étaient partis pour une randonnée sans pouvoir s’alimenter. Ces accusations ont été formellement contredites par les accompagnants et les parents d’élèves qui se sont étonnés de les découvrir dans la presse, tant elles étaient en contradiction totale avec les faits.

Cependant, contrairement aux règles rappelées récemment par le CDJM à l’encontre de France 2, dont notamment l’obligation de rectification des erreurs, les journaux contactés par la Fédération refusent souvent de corriger les erreurs factuelles contenues dans leurs articles. Ensuite, même quand ils le font, d’autres intervenants reprennent parfois ces inexactitudes sans vérification et les diffusent à nouveau, un fait documenté par un criminologue allemand qui a expliqué que les rumeurs de violence dans les écoles Waldorf étaient parties d’une étude universitaire qu’il avait conduite et qui affirmait pourtant exactement le contraire…

La Fédération a lancé récemment un appel à un journalisme éthique, afin de rappeler aux journalistes leur devoir de diffuser une information équilibrée et exacte. Elle se joint à l’appel de l’EJN (Ethical Jounalism Network) :

L’EJN soutient que les valeurs éthiques du journalisme ‒ fidélité aux faits, humanité et respect de l’autre, transparence et reconnaissance de ses propres erreurs ‒ sont les principes cardinaux qui devraient guider chacun d’entre nous, usagers des médias sociaux et journalistes citoyens compris.

Cet appel est très loin d’être isolé, puisque à la fois l’UNESCO et le Conseil de l’Europe font état de cette nécessité et de ce devoir d’équité, et alertent sur le risque réel et malheureusement bien souvent documenté d’instrumentalisation des médias.

C’est un risque auquel s’expose l’Express quand il cite, sans vérification, les accusations de la conseillère municipale de Strasbourg. Les accusations que celle-ci porte à l’encontre des écoles Waldorf relèvent d’une véritable stigmatisation. Elles peuvent pourtant être facilement réfutées.

Pernelle Richardot affirme par exemple avec autorité que : “ces établissements Steiner n’ont pas mis en place de protocoles sanitaires lors de la pandémie de Covid.” Cette affirmation est contraire à la réalité : les protocoles sanitaires anti-Covid ont été mis en place dans tous les établissements Waldorf. Ces faits sont vérifiables et documentés.

Des accusations d’opacité abusives et facilement réfutables

L’accusation “d’opacité” ne tient pas non plus : les parents sont tenus informés, notamment par des réunions pour les nouveaux parents, au moyen d’un livret d’accueil distribué à la rentrée, grâce à de nombreuses ressources disponibles sur le site internet de la Fédération et par des réunions de classe régulières. Toutes les questions sont les bienvenues, et les échanges sont en général constructifs. S’ils ne le sont pas assez, la Fédération se tient à la disposition des parents pour écouter leurs retours et réagir en conséquence.

Une réglementation exigeante et respectée

Les écoles hors contrat et sous contrat sont soumises à une règlementation exigeante et il est aberrant d’affirmer que l’on « n’est pas dans une école normale avec un directeur, un infirmier, un CPE… . » Il y a dans chaque école un chef d’établissement ou un directeur. La loi n’oblige pas les écoles hors contrat à prévoir des postes d’infirmier ou de médecin scolaire, mais il est à noter que plusieurs écoles Waldorf tentent cependant de respecter ce critère. 

Un programme respectueux du socle commun de connaissances

Les écoles Waldorf respectent un programme scolaire en référence au socle commun de connaissances, de compétences et de culture de l’Education nationale, et le passage en école publique est possible, pratiqué, et accompagné.  On peut s’en rendre compte en consultant de nombreux témoignages réunis par l’ANPAPS, l’association des parents d’élèves et des anciens des écoles Waldorf et consultables en ligne.

Ce dernier point est également démontré par les faits : cette année encore, tous les candidats au bac issus des écoles Waldorf l’ont réussi et, dans leur grande majorité, avec mention.

Des enseignants qualifiés, agréés par l’académie

L’Express continue à citer sans filtre les affirmations les plus extrêmes de la conseillère municipale : « on a dans ces établissements des enseignants qui ne sont clairement pas formés, et il n’y a pas de vrai suivi. » Cette affirmation est contraire à la réalité : les enseignants dans les écoles Waldorf respectent la réglementation en matière de niveau minimum de qualification exigée, ce qui est attesté par les contrôles réguliers qui sont faits par l’académie. Ils sont en outre formés à la pédagogie Steiner-Waldorf. Le suivi des formations initiales et de la formation continue est assuré par les écoles.

Un hommage à Samuel Paty respecté, mais adapté à l’âge des élèves

Ensuite, contrairement à ce qui est également affirmé dans cet article, l’école Waldorf de Strasbourg n’a pas refusé de réaliser une minute de silence suite à la tragédie de Samuel Paty. Le collège pédagogique a décidé à l’époque que la minute de silence serait observée à partir de la 6ème classe. Pour les enfants plus jeunes, conformément à un principe important au sein de la pédagogie Steiner Waldorf, cet hommage a été adapté à l’âge des élèves, et les classes de primaire ont eu un temps dédié qui convenait mieux à leur maturité émotionnelle. Dans certaines classes, cet hommage a par exemple été fait sous la forme d’une histoire.

Un accompagnement contre toute forme de harcèlement

Enfin, la Fédération s’étonne de la déclaration de la conseillère municipale de Strasbourg, Madame Pernelle Richardot, qui évoque des témoignages de parents mis “sous pression”, “des harcèlements et brutalités entre enfants” et des enfants qui “coiffent” les enseignants. La Fédération prend ce type d’accusations avec le plus grand sérieux mais n’a à ce jour pas eu connaissance de ces “témoignages”. Elle s’étonne grandement qu’ils n’aient pas été portés à sa connaissance ni à celle de l’école et est désireuse de les consulter afin de pouvoir réagir immédiatement, conformément au protocole qu’elle a défini, en conformité avec les recommandations du Ministère de l’Education Nationale.

Une pédagogie vivante et féconde…

En conclusion, la Fédération s’insurge d’avoir à nouveau à se défendre face à des rumeurs et des inexactitudes, alors que ses écoles sont très régulièrement inspectées, souvent de manière inopinée, sans que de problèmes majeurs ne soit relevés, que de nombreux anciens élèves et parents d’élèves témoignent de leur satisfaction, et continuent de le faire, même quand ils sont soumis à des commentaires acerbes sur les réseaux sociaux quand ils osent y prendre la parole. La Fédération espère que la voix d’un petit nombre de détracteurs, largement amplifiée par une presse peu équitable, ne forcera pas au silence et ne découragera pas tous ceux qui veulent continuer à profiter d’une offre alternative nécessaire et garantie par la loi. La Fédération fait appel à la responsabilité des journalistes afin qu’ils ne se fassent pas la caisse de résonnance de ses détracteurs sans mener une enquête préalable.

La pédagogie Steiner Waldorf est présente dans le monde entier, c’est une pédagogie vivante, qui cherche à développer les capacités contenues en germe dans chaque enfant. Elle porte des fruits féconds, visibles dans les jardins d’enfants et les écoles de son réseau. Depuis cent ans, elle a aidé des milliers de jeunes à trouver librement leur voie et leur place dans la société.

C’est à la qualité de ses fruits que nous vous invitons à juger la valeur de l’arbre… 

 

Presse

[1] Voir à ce sujet Jost Schieren : « Pédagogie Waldorf et anthroposophie : un champ de tension » in La pédagogie Waldorf : Etat des lieux, fondements et perspectives, Jost Schieren et autres auteurs, traduction Raymond Burlotte, Aethera, Laboissière en Thelles : 2019, p. 254

[2] Steiner, Rudolf, Gegenwärtiges Geistesleben und Erziehung (GA 307), Rudolf Steiner Verlag, Dornach 1986, non traduit en français, Op. Cit. p.255

[3] Le durcissement du contrôle des écoles privées hors contrat est détaillé dans l’article suivant, consultable en ligne, et intitulé « Le droit à l’instruction dans la loi confortant le respect des principes de la République : hors de l’Ecole républicaine, point de salut ? » par Anne Fornerod, directrice de recherche du CNRS